Au bord de la rivière T4 - Constant
un ton matois.
— Dites donc, ce serait pas parce que vous avez dans l’idée d’ouvrir une fromagerie que vous voulez acheter ma terre ? demanda-t-il en dévisageant tour à tour ses visiteurs.
— C’est pour ça, monsieur Bélanger, acquiesça Constant.
— J’avais entendu dire que c’était Télesphore Dionne qui s’occuperait de ça.
— J’ai changé d’associé, se borna à déclarer Hubert en ne cachant pas un début d’impatience.
Le cultivateur ne parvint pas à dissimuler un petit sourire de satisfaction d’avoir découvert le but véritable de leur visite.
— Bon, on vous fera pas perdre votre temps plus longtemps, dit Constant en se levant. On venait juste s’informer.
— Vous avez ben fait, fit hypocritement le gros homme. Ma terre est à vendre trois cent cinquante piastres, pas une cenne de moins.
— On dit pas qu’elle nous intéresse pas, fit Constant, mais il y a la terre de Joseph Camirand et celle de Théodore Bessette qui sont aussi à vendre dans Saint-Paul. Si j’ai bien compris, elles sont pas mal moins chères.
— Elles sont pas aussi ben placées que ma terre. La terre de Camirand est complètement au bout du rang, lui fit remarquer Tancrède Bélanger.
— C’est pas bien grave, ça nous rapprocherait de Sainte-Monique où il y a bien des cultivateurs qui vont être contents de nous acheter du fromage.
— La terre de Bessette, c’est une terre de roche, poursuivit le mari d’Émérentienne Bélanger avec une évidente mauvaise foi.
— Ça nous dérange pas, on a l’intention de la louer à un voisin, répliqua Constant sur un ton léger.
Hubert imita son compagnon et endossa son manteau après avoir chaussé ses bottes. Au moment où il mettait la main sur la poignée de la porte, leur hôte demanda au meunier, en cachant mal son intérêt :
— Et t’avais l’intention de m’offrir combien ?
— Pas plus que trois cent dix piastres, monsieur Bélanger. C’est le plus qu’on peut vous offrir.
— Voyons donc ! s’écria le cultivateur. C’est encore moins que le montant que je demandais au commencement de l’automne.
— Je le sais ben, mais on peut pas faire mieux. Même si vous souffrez ben gros de vos rhumatismes, je comprends que ça vous dérange pas d’attendre encore un an ou deux avant de trouver quelqu’un prêt à vous acheter votre bien au prix que vous demandez. C’est pour ça qu’on va plutôt aller voir dans Saint-Paul si on peut s’arranger avec Camirand ou Bessette.
Il y eut un flottement dans la pièce avant que le vieil homme se décide à dire à ses visiteurs :
— Écoutez, donnez-moi jusqu’à demain soir pour réfléchir à tout ça. Passez me voir après le souper.
Constant et Hubert lui promirent de passer le lendemain soir. Ils sortirent de la maison en ne jetant même pas un regard derrière eux. Le meunier alla prendre place en claudiquant dans le berlot, suivi par Hubert, passablement déçu par la tournure des événements.
— Regarde pas la maison et les bâtiments, lui ordonna Constant en fixant l’entrée de la cour. Je suis certain qu’il nous guette par une des fenêtres. Fais comme si sa terre nous intéressait plus pantoute.
Dès que le berlot eut quitté la cour, l’amoureux de Bernadette tourna vers le conducteur un visage réjoui.
— Fais pas cette tête-là, dit-il à son compagnon, l’affaire est presque dans le sac.
— Mais il a dit qu’il voulait trois cent cinquante piastres pour sa terre, fit Hubert, surpris.
— Inquiète-toi pas pour ça. Le gros Bélanger voulait juste savoir à quel point on voulait son bien. Là, il doit avoir peur qu’on s’entende avec Bessette ou Camirand. Je suis prêt à te gager qu’il va essayer demain soir de nous la vendre trois cent vingt-cinq piastres. On va probablement négocier à trois cent quinze.
— T’es certain de ça ?
— Presque certain. Oublie pas que je viens d’une famille de marchands. Mon père comme mes deux frères étaient pas mal bons à ce petit jeu-là. En tout cas, à ta place, j’attendrais avant d’en parler à la fille de Dionne, suggéra-t-il.
À son retour à la maison, Hubert ne put cacher aux siens ce qu’il avait fait durant l’après-midi et l’offre plus que généreuse de Constant Aubé.
Quand Bernadette alla ouvrir la porte à son amoureux venu passer la soirée au salon avec elle, elle le laissa parler quelques instants avec sa mère et son frère Donat avant de
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