Au bord de la rivière T4 - Constant
d’inquiétude barrant son front.
— Crains rien, j’en ai assez pour vivre.
— Je veux bien le croire, mais un jour, tu vas bien finir par avoir besoin de ton argent pour tes projets d’avenir.
— À quels projets tu penses ? lui demanda-t-il, l’air narquois.
— Je suppose, par exemple, que tu vas bien vouloir te marier un jour, dit-elle après une courte hésitation.
— Aïe ! fit Constant en rougissant légèrement. M’as-tu ben regardé ? Je suis laid et je boite. Connais-tu ben des filles qui voudraient me marier ?
— Es-tu en train de me dire que tu me fais perdre mon temps, Constant Aubé ? demanda Bernadette en élevant un peu la voix.
— Et toi, es-tu en train de me faire comprendre que t’accepterais d’être ma femme ? reprit le jeune homme d’une voix altérée.
— Commence par me faire ta demande en bonne et due forme et je vais te répondre, dit la jeune institutrice.
— Est-ce que t’accepterais de me marier ? lui chuchota-t-il en s’emparant de l’une de ses mains.
— Je pense que oui, fit Bernadette, taquine, mais il faudrait pas que t’attendes trop pour me traîner au pied de l’autel parce que je risque de changer d’idée.
— Si on se fiançait à Pâques et si on se mariait le dernier samedi de juin, qu’est-ce que t’en dirais ?
— J’ai rien contre, répondit-elle avec le sourire. Il reste juste à savoir si ma mère va vouloir que sa plus belle fille marie un simple meunier.
— Quand veux-tu que je demande ta main à ta mère ? fit Constant, très sérieux.
— Pourquoi pas régler ça à soir ? répliqua la jeune fille en se levant déjà. Je vais la chercher.
— Donne-moi une petite minute, fit-il, secoué. C’est un soir important pour moi.
— Pour moi aussi, lui dit-elle sur un ton attendri. Là, est-ce que je peux aller la chercher ?
— C’est correct, je suis prêt.
Quand Bernadette revint dans le salon en compagnie de sa mère, Constant se leva, l’air emprunté.
— Bedette m’a dit que tu avais quelque chose d’important à me demander, fit Marie.
Constant dut se racler la gorge à quelques reprises avant de dire, la voix changée :
— Madame Beauchemin, j’aimerais vous demander la main de Bernadette.
La demande n’eut pas l’air de surprendre la mère outre mesure.
— Je te donne ma fille sans la moindre hésitation, répondit-elle. Je suis certaine qu’elle pourra jamais tomber sur un meilleur mari que toi, Constant.
Tout heureux, le jeune homme expliqua à la mère de sa future épouse qu’ils envisageaient de se fiancer à Pâques et de s’épouser le dernier samedi du mois de juin, de manière à ce que Bernadette respecte son contrat d’institutrice qui ne permettait pas à une femme mariée d’enseigner.
— J’ai rien contre ces dates-là, déclara Marie avec bonne humeur. C’est bien beau tout ça, mais vous allez venir annoncer la grande nouvelle à toute la famille avant qu’on se mette à jouer aux cartes.
Tous les membres de la famille Beauchemin accueillirent avec enthousiasme la nouvelle et ils s’empressèrent de féliciter le jeune couple. Ensuite, on constitua des équipes de joueurs de cartes qui allaient s’affronter durant une bonne partie de la soirée. Vers dix heures, on demanda à Liam d’entonner quelques chansons à répondre en alternance avec les légendes que Rémi, Emma et Constant racontaient.
À minuit, il fallut réveiller les enfants et la maison se vida. Emma et Rémi rappelèrent à tous qu’ils étaient invités pour le souper du jour de l’An.
— S’il y en a un seul qui vient pas, on lui parlera pas de l’année, plaisanta à moitié une Emma d’excellente humeur en finissant d’emmitoufler Marthe.
Ce soir-là, Eugénie ne put dissimuler sa bonne humeur à Donat en se mettant au lit.
— Bon, on dirait bien qu’on vient de caser ta sœur, lui déclara-t-elle après avoir soufflé la lampe. À cette heure, il reste juste Hubert. Après, je suis certaine qu’on va arriver à persuader ta mère de se donner à nous autres.
— Prends pas trop vite le mors aux dents, fit son mari pour la calmer. Il y a rien qui dit que ma mère va accepter ça.
— On verra bien, rétorqua Eugénie d’une voix confiante en se tournant sur le côté.
Deux jours plus tard, en fin de matinée, Constant et Hubert se rendirent tranquillement chez le notaire Letendre. La veille, le vent du nord s’était mis à souffler, chassant tous
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