Au bord de la rivière T4 - Constant
qu’il donna immédiatement à Hubert.
— Si vous êtes d’accord, je vais inviter monsieur Bélanger à entrer pour la signature du contrat, dit le notaire en contournant son bureau.
— J’aimerais que mon futur beau-frère soit le seul signataire du contrat d’achat, intervint Constant. Là, monsieur Bélanger croit que nous sommes deux associés dans l’affaire, mais c’est pas vrai. Je me contente de prêter l’argent à Hubert.
— Ah bon ! fit le notaire, surpris.
— Si ça vous dérange pas, je vais aller m’asseoir dans la salle d’attente pendant qu’ils vont régler ça entre eux.
Le meunier se leva avant même que Hubert ait eu le temps de protester. Le notaire Letendre ouvrit la porte et invita Tancrède Bélanger à entrer dans son bureau. Celui-ci sembla s’étonner en voyant Constant Aubé quitter la pièce, mais il ne dit rien. Il se contenta de prendre place sur la chaise voisine de celle de Hubert et attendit que l’homme de loi se soit assis dans son fauteuil.
Sans perdre un instant, le notaire entreprit la lecture de l’acte d’achat qu’il avait rédigé, dans lequel étaient énumérés tous les biens cédés par Tancrède Bélanger à Hubert Beauchemin pour la somme de trois cent vingt dollars.
— C’est pas possible, il doit y avoir une erreur quelque part, s’écria le cultivateur. Je peux pas avoir laissé autant de mes biens juste pour trois cent vingt piastres.
— Monsieur Bélanger, est-ce que ce n’est pas la promesse de vente que vous avez signée la semaine passée devant votre femme et monsieur Aubé ? lui demanda l’homme de loi en lui montrant le document signé quelques jours auparavant.
— Peut-être ben que oui, peut-être ben que non, dit Tancrède, l’air rusé.
— On s’était ben entendus pour trois cent vingt piastres ! intervint Hubert.
— En tout cas, monsieur Bélanger, si vous contestez le contrat, mon client va être justifié de vous traîner en cour et vous devrez faire la preuve qu’on a cherché à vous escroquer.
Le gros cultivateur se gratta la tête comme s’il hésitait, puis il se décida à prendre la plume que lui tendait le notaire. Il parapha finalement le contrat et Hubert, rassuré, s’empressa de l’imiter. Omer Letendre remit au vendeur l’enveloppe contenant la somme qui lui revenait. Celui-ci en tira les billets de banque, les compta lentement et les recompta encore plus lentement, comme s’il cherchait à se venger ou à montrer sa méfiance ouvertement.
— Tout est là, dit-il en s’apprêtant à enfouir l’enveloppe dans l’une de ses poches.
— Si vous le voulez, monsieur Bélanger, je peux garder la somme dans mon coffre-fort et vous faire une lettre de crédit, offrit aimablement le notaire Letendre. Ce serait peut-être moins dangereux que de porter sur vous un tel montant.
— Merci, mais j’ai plus confiance au notaire Valiquette pour s’occuper de mon argent, affirma avec brusquerie et sans aucun savoir-vivre le vieil homme.
Les trois hommes se levèrent en même temps. Omer Letendre, apparemment insensible à l’insulte, serra la main du cultivateur en lui souhaitant bonne chance. Hubert fit de même.
— Mon garçon a promis de venir chercher nos affaires le lendemain du jour de l’An, fit-il en s’adressant, comme à contrecœur, à son acheteur. J’espère que c’est assez vite pour toi.
— Ça va être correct comme ça, monsieur Bélanger, le rassura Hubert. J’ai l’intention d’attendre le lendemain des Rois pour m’installer.
Il était tellement heureux d’être le nouveau propriétaire du bien du vieil homme qu’il lui serra la main sans rancune.
Au moment où Hubert allait lui emboîter le pas et sortir du bureau, le notaire le retint par un coude.
— Si vous voulez bien attendre un instant, monsieur Beauchemin, j’aurais quelques mots à vous dire ainsi qu’à monsieur Aubé avant votre départ. Je raccompagne monsieur Bélanger et je vous reviens tout de suite.
Dans la petite salle d’attente, Constant s’était levé pour saluer le cultivateur à qui Omer Letendre tendait son lourd manteau de chat sauvage avant de le conduire à la porte de son étude. Après avoir refermé la porte derrière ce client désagréable, le notaire fit signe au meunier de le suivre dans son bureau.
— Assoyez-vous, messieurs, dit-il en mettant une joyeuse animation dans sa voix après avoir retiré son lorgnon. Je pense qu’il est temps de
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