Au bord de la rivière T4 - Constant
l’imita.
— Vous pouvez faire rentrer les enfants, ajouta brusquement l’inspecteur à Bernadette en cherchant à retrouver une partie de son autorité. Inscrivez dès aujourd’hui dans votre registre le nom de votre nouvelle élève.
Sur ce, il partit, mais la jeune institutrice savait bien que l’homme n’était pas près de lui pardonner l’affront d’avoir fait intervenir le curé de la paroisse en sa faveur et ainsi de lui avoir fait perdre la face.
La veille, Donat était revenu seul de Sorel. La supérieure de l’orphelinat avait demandé quelques jours pour examiner la demande de la famille Beauchemin malgré l’insistance de sœur Marie du Rosaire.
Le lendemain, au début de l’après-midi, une sleigh conduite par un inconnu s’arrêta devant la maison en pierre du rang Saint-Jean. Le vieux conducteur aida une religieuse et Célina à descendre du véhicule, et s’empara d’une boîte qu’il alla déposer sur la galerie avant de frapper à la porte. Eugénie qui les avait vus arriver ne put s’empêcher de s’exclamer :
— C’est pas vrai, elle revient pas déjà ! en songeant à la tante de son mari.
Puis elle se rendit compte que la religieuse n’avait pas du tout la taille imposante de sœur Marie du Rosaire. Elle quitta précipitamment sa chaise berçante et fit entrer les visiteurs qui semblaient frigorifiés. Sa belle-mère était encore alitée et la vaisselle sale du repas du midi traînait sur la table.
— Bonjour, madame, je suis sœur Eulalie, se présenta la sœur Grise. Je m’en vais en visite chez mes parents à Saint-Zéphirin et notre mère supérieure m’a demandé d’accompagner Célina chez vous. Elle a accepté qu’elle vous aide tout le temps que durera la maladie de votre mère.
— Cette aide-là va être bienvenue, déclara Eugénie sur son ton geignard habituel. Comme vous pouvez le voir, je suis complètement débordée.
— Je suppose que vous avez de nombreux enfants ?
— Non, un seul, avoua Eugénie, mais je dois aussi m’occuper de ma belle-mère.
— Si vous le permettez, madame Beauchemin, je vais servir une tasse de thé et quelque chose à manger à sœur Eulalie et à son père, proposa Célina en retirant son manteau et ses bottes.
— Fais donc ça, accepta la jeune femme en reprenant place dans sa chaise berçante sans songer à offrir un siège aux visiteurs.
Après s’être restaurés, la religieuse et son conducteur remirent leur manteau. Au moment de partir, sœur Eulalie crut bon de mentionner à celle qu’elle croyait être la maîtresse de maison :
— Je connais depuis longtemps notre Célina, madame. C’est un vrai bijou. Rappelez-vous que même si elle est orpheline, ce n’est pas une esclave.
Sur cet avertissement bien senti, la religieuse quitta les lieux en compagnie de son père.
Ce soir-là, la nouvelle du retour de Célina fit le tour de la famille et tous ses membres s’en réjouirent et ne s’en cachèrent pas.
— Il ne faudrait pas qu’Eugénie exagère, dit Hubert à sa sœur Bernadette avant de monter se coucher.
— Inquiète-toi pas avec ça, m’man va y voir, tu peux en être certain, déclara Bernadette.
Chapitre 22
La fromagerie
Un froid polaire envahit la région pendant la dernière semaine du mois de janvier. L’air était si glacial que les hommes ne restaient sur leur terre à bois que quelques heures par jour. Dans la campagne, partout où le regard portait, on ne voyait que des cheminées qui fumaient. Tout le paysage semblait figé dans une gangue de glace mortelle.
Chez les Beauchemin, Célina avait pratiquement pris en main le contrôle de la maisonnée tant Eugénie profitait de sa présence pour se reposer en prétextant un épuisement difficilement compréhensible. L’orpheline cuisinait les repas, lavait et entretenait les vêtements, faisait le ménage et surtout soignait la maîtresse des lieux.
L’état de santé de Marie inquiétait de plus en plus ses enfants. Lors de ses deux dernières visites, le docteur Samson, le front soucieux, avait noté que l’affaiblissement de sa patiente grandissait et il ne pouvait l’attribuer qu’au rythme très irrégulier de son cœur. Depuis qu’elle avait réintégré sa chambre du rez-de-chaussée, Marie Beauchemin passait une bonne partie de la journée assise frileusement dans sa chaise berçante, près du poêle qu’on surchauffait.
Le fait qu’elle ait demandé qu’on fasse venir le notaire
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