Au bord de la rivière T4 - Constant
Depuis le retour d’Ann à l’école, Rose avait refusé de monter avec lui pour avoir le plaisir de faire la route avec sa sœur aînée.
Au début de l’après-midi, la neige cessa, et Bernadette, voyant passer la voiture de son frère, fit le vœu que Célina Chapdelaine, assise à côté de sa tante sur le siège arrière, obtienne la permission de la supérieure de l’orphelinat de Sorel de revenir aider les Beauchemin, au moins le temps que durerait la maladie de sa mère.
Peu après, elle était debout devant l’une des fenêtres, occupée à donner une dictée à ses élèves, quand elle aperçut un berlot qui s’immobilisa près de l’école. Elle sursauta lorsqu’elle vit en descendre Charlemagne Ménard, engoncé dans son épais manteau en étoffe du pays. Comme à son habitude, l’inspecteur venait lui rendre visite au moment le moins approprié, les enfants étant bien énervés à la fin de cette journée de classe.
— Je suis prête à gager qu’il est allé voir Angélique Dionne à matin, quand les enfants étaient bien reposés, murmura-t-elle en cessant de dicter pour faire signe à Duncan de se préparer à ouvrir la porte au visiteur.
Puis, une pensée soudaine la fit pâlir. Son registre de classe ! Il n’était pas à jour. Elle avait complètement oublié d’ajouter le nom d’Ann Connolly… De plus, elle aurait dû normalement demander à l’inspecteur s’il lui était permis de l’inscrire alors que l’adolescente n’avait pas fréquenté l’école à l’automne. Le moins qu’il pouvait lui arriver était d’encourir un blâme sévère… Surtout que l’homme cachait difficilement sa préférence marquée pour la fille de Télesphore Dionne.
Duncan alla ouvrir la porte au visiteur et tous les enfants se levèrent pour saluer ce dernier au signal de leur institutrice. Bernadette s’avança vers Charlemagne Ménard qui retira, sans se presser, son casque à oreillettes et son manteau qu’il déposa sur une chaise, près de l’estrade. La moustache en pointe de l’homme était couverte d’un épais frimas et aucun sourire ne se dessina sur son visage. Il fit signe aux enfants de se rasseoir et alla prendre place sans plus de façon derrière le petit bureau de l’institutrice installé sur l’estrade, près du tableau noir.
La mine sévère, il consulta d’abord le registre déposé sur un coin du bureau et fit l’appel des enfants présents. Évidemment, il découvrit qu’Ann n’était pas inscrite, mais il ne dit rien. Après avoir posé quelques questions pour vérifier les connaissances en calcul et en français des élèves, il se leva pour jeter un bref coup d’œil sur les ardoises et signaler quelques erreurs d’orthographe. À aucun moment il ne trouva matière à féliciter les enfants.
Debout dans un coin de la classe, Bernadette ne bougeait pas. Elle attendait avec impatience la fin de la visite. « Tu parles d’une maudite face de bois ! » se répéta-t-elle à plusieurs occasions.
Finalement, l’inspecteur tira sa montre de gousset de sa poche pour consulter l’heure et permit aux enfants de rentrer chez eux. Inquiète, Bernadette attendit qu’ils aient quitté l’école, convaincue qu’elle allait avoir droit aux foudres du visiteur.
Elle ne se trompait pas. Dès que le dernier élève eut franchi le seuil, Charlemagne Ménard prit le registre, l’ouvrit à la page où les noms des élèves devaient être consignés ainsi que leur âge et lui demanda sèchement :
— Voulez-vous bien m’expliquer, mademoiselle, comment il se fait que le nom d’une élève ne soit pas inscrit dans votre registre ?
— Parce qu’elle est arrivée seulement ce matin à l’école, monsieur, mentit-elle.
— Quelle âge a-t-elle ?
— Quinze ans, monsieur.
— Et vous trouvez ça normal, vous, qu’une fille de cet âge-là vienne traîner à l’école et commence au milieu de l’année ?
— Elle veut tellement étudier, expliqua Bernadette.
— En quelle année devrait-elle être inscrite, si c’est pas trop indiscret de vous le demander ?
— En septième, monsieur l’inspecteur.
— Et vous pensez qu’elle va réussir cette année-là en venant en classe juste la moitié de l’année ? fit-il, sarcastique.
— Je lui ai fait faire des devoirs quatre fois par semaine depuis le début du mois de septembre, se défendit Bernadette, qui commençait à en avoir assez.
— Avec la permission de qui, si je
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