Au bord de la rivière T4 - Constant
peux me permettre ? demanda l’inspecteur, l’air mauvais.
— Je pensais que je pouvais le faire, répondit l’institutrice. Ann Connolly a dû demeurer à la maison pour aider sa mère enceinte, expliqua-t-elle.
— Bon, on va mettre les choses au clair tout de suite, fit Charlemagne Ménard en se levant pour endosser son manteau. Je n’accepte pas ce genre d’irrégularité dans les écoles dont j’ai la responsabilité. Demain matin, quand cette fille se présentera à l’école, vous allez la renvoyer chez elle en lui disant que ce n’est pas sa place à son âge. Dites-lui qu’elle apprenne plutôt à tenir maison et à prendre soin de ses frères et sœurs.
— Ça va lui faire bien de la peine, dit Bernadette dans une dernière tentative d’attendrir le fonctionnaire.
— Ça lui en fera, mademoiselle, mais dites-vous que c’est pour son bien, précisa-t-il en enfonçant son casque à oreillettes sur sa tête.
— Très bien, monsieur.
— En passant, je suppose que vous ne serez pas surprise que mon devoir m’oblige à inscrire une mauvaise note à votre dossier. Inutile de vous dire que je ne veux plus qu’une pareille chose se reproduise.
Bernadette, la larme à l’œil, reconduisit son visiteur jusqu’à la porte qu’elle lui ouvrit.
— Demain matin, je dois aller visiter l’école du rang Saint-Paul et j’arrêterai pour vérifier si tout est en ordre, déclara-t-il sèchement avant de sortir.
Bernadette quitta l’école quelques minutes plus tard au moment même où Paddy Connolly sortait du magasin général où il venait de commenter les nouvelles, comme il le faisait tous les après-midis. Après un instant d’hésitation, la jeune fille lui demanda s’il pouvait l’emmener chez sa sœur Camille. Il la fit monter. L’institutrice arriva chez les Connolly presque en même temps que les enfants.
— Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda sa sœur aînée. Viens pas me dire que c’est encore Duncan qui a fait le malcommode ?
— Non, c’est au sujet d’Ann, répondit Bernadette. L’inspecteur la trouve trop vieille pour l’école et veut plus la voir là.
Ann entra à la maison à ce moment-là en compagnie de Rose et de Duncan. Quand elle entendit Bernadette annoncer la mauvaise nouvelle, elle s’assit au bout de la table et baissa la tête. L’adolescente semblait peinée d’avoir à rester à la maison après tous les efforts faits depuis le début du mois de septembre.
— Est-ce qu’il a le droit de faire ça, lui ? fit Camille sans cacher sa rage.
— On le dirait, lui répondit sa jeune sœur. En plus, il va m’écrire un blâme dans mon dossier, mais ça, ça me badre pas. Il peut écrire tout ce qu’il veut : l’année prochaine, je vais être mariée et je ferai pas l’école.
— Je vais aller voir monsieur le curé pas plus tard qu’à soir pour lui parler de cette affaire-là, déclara sa sœur sur un ton décidé. Il sera pas dit que ma fille a travaillé pour rien pendant des mois.
Quand Liam rentra après avoir soigné les animaux, Camille lui apprit la nouvelle sur un ton si révolté qu’il ne put qu’adopter son point de vue.
— Donat va s’en mêler s’il le faut, dit-elle à son mari. Après tout, il est le président de la commission scolaire de Saint-Bernard.
— On n’aura pas besoin de lui, affirma le père de famille, fâché. On va aller voir monsieur le curé après le souper. Il devrait être assez pesant pour arranger ça.
Après le repas, Liam décida de changer de vêtements et d’accompagner sa femme au presbytère pour demander l’avis du curé Fleurant.
Bérengère Mousseau les introduisit dans le bureau du pasteur de Saint-Bernard-Abbé qui les invita à lui exposer leur problème.
— Ah ben, bonjour par exemple ! s’emporta le prêtre. On se plaint que les Canadiens sont illettrés et voilà qu’un inspecteur refuse le droit d’apprendre à une fille qui veut étudier. Ça se passera pas comme ça, je vous en passe un papier.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? s’enquit Liam, mal à l’aise dans ses habits du dimanche.
— Vous allez envoyer votre fille à l’école demain matin comme si de rien n’était. Moi, je vais être là pour l’attendre, cet homme-là.
Rassurés, le mari et la femme rentrèrent chez eux après un bref arrêt chez les Beauchemin pour prévenir Bernadette et prendre des nouvelles de la santé de Marie qui avait finalement réintégré son
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