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Au bord de la rivière T4 - Constant

Au bord de la rivière T4 - Constant

Titel: Au bord de la rivière T4 - Constant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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qu’elle venait de remporter une grande victoire. Avant de s’endormir, elle eut une pensée pour l’oncle de son mari. Elle se demanda quelle sorte d’homme Paddy Connolly était pour ne pas se sentir gêné de ne jamais offrir quelque chose à son entourage, lui, pourtant si riche !

    Depuis que Bérengère Mousseau avait mis les pieds au presbytère, il ne s’était pas passé une journée sans que Josaphat Désilets ne soit tenté de la renvoyer chez son gendre. Seules ses craintes de ne pouvoir la remplacer aisément, et par conséquent d’être obligé de cuisiner lui-même ses repas et de voir à l’entretien de ses vêtements et du presbytère le retenaient. Il avait encore clairement en mémoire ses recherches passées.
    La veuve n’était là que depuis dix jours, qu’il avait déjà pris l’habitude de se réfugier sur la galerie du presbytère ou dans son bureau pour avoir la paix.
    — Je sais pas si Bridget Ellis a cherché à me faire un cadeau en me l’envoyant, répétait-il parfois en serrant les dents, mais c’est un genre de cadeau dont je me serais bien passé.
    Le prêtre en était presque venu à croire que les trois maris décédés de sa ménagère avaient probablement préféré se laisser mourir plutôt que de continuer à la supporter.
    Le matin même, la grande femme s’était installée sur la galerie, à l’arrière du presbytère, pour procéder au lavage des vêtements du curé de Saint-Bernard-Abbé. Armée de sa planche à laver, elle avait abondamment savonné chaque vêtement avant de le frotter avec vigueur sur la planche, le rincer et l’étendre sur la corde à linge. À la fin de la matinée, elle venait à peine de rentrer pour voir à la préparation du dîner qu’elle vit Josaphat Désilets s’immobiliser sur le seuil de la pièce, l’air mécontent. Bérengère Mousseau s’en rendit compte au premier coup d’œil, mais cette constatation ne sembla pas la troubler le moins du monde.
    — Bon, qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda-t-elle en prenant une pomme de terre qu’elle se mit à peler.
    — Il y a, madame, que vous avez étendu mes sous-vêtements à la vue de tous les passants, répondit le prêtre, outré.
    — Qu’est-ce que vos caleçons ont de si spécial que personne doive les voir ? répliqua la veuve. Est-ce qu’ils ont des trous que j’ai pas vus ?
    — C’est juste pas convenable, madame.
    — Voyons donc ! se moqua la ménagère. Vos caleçons sont comme ceux que portent tous les hommes. Je vois pas la différence. Même si vous portez une soutane, tout le monde de Saint-Bernard se doute que vous êtes aussi un homme.
    — Madame Ellis, elle, les faisait sécher dans un drap, fit l’ecclésiastique, à bout de patience.
    — Elle faisait peut-être ça, mais pas moi, déclara sèchement Bérengère. Si ma façon d’étendre vos caleçons vous convient pas, monsieur le curé, je vais les laver et vous laisser les étendre dans votre chambre ou ailleurs, si vous le voulez.
    Josaphat Désilets s’était retiré dans son bureau en marmonnant.
    — Une vraie tête de cochon ! dit-il à mi-voix en claquant la porte derrière lui.
    Il s’assit près de l’unique fenêtre de la pièce et se mit à fixer les eaux de la rivière qui coulaient paisiblement de l’autre côté de la route en ce dernier jour du mois d’août. Il avait besoin de retrouver son calme, comme après chaque affrontement avec sa nouvelle ménagère.
    Toutefois, il devait à la vérité de reconnaître que sa nouvelle ménagère était d’une efficacité redoutable. Il n’y avait pas le moindre grain de poussière sur les meubles, même si les voitures soulevaient passablement de poussière dans le rang Sainte-Ursule qui passait à proximité. Les planchers étaient d’une propreté impeccable. La dame cuisinait très bien, même si elle s’entêtait à ne lui confectionner des desserts qu’en de rares occasions. Enfin, il n’avait jamais eu des vêtements aussi bien entretenus. En fait, n’eût été son caractère exécrable, Bérengère Mousseau aurait été la ménagère rêvée de tout curé.
    Josaphat Désilets avait nettement conscience qu’aux yeux de la veuve, il était devenu « son curé » et que le presbytère était maintenant « son presbytère ». Il ignorait encore comment elle avait fait, mais cette grande femme aux traits anguleux avait pris possession des deux et en tirait une fierté qu’elle ne cherchait

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