Au Coeur Du Troisième Reich
chaque fois il me coupait la parole : « A part cela, Speer, combien de chars pouvez-vous nous fournir le mois prochain ? »
Le 26 novembre 1943, quatre jours après la destruction de mon ministère, à la suite d’un nouveau raid massif sur Berlin, de graves incendies s’étaient déclarés dans la plus importante de nos usines de chars, celle d’Allkett. Saur, mon adjoint, eut l’idée d’appeler le quartier général du Führer par notre ligne directe, qui était encore intacte, pour qu’on tente de là-bas d’avertir les pompiers sans passer par le central de Berlin qui était détruit. Hitler fut donc mis au courant de l’incendie et, sans demander d’autres renseignements, il donna desordres pour que tous les pompiers de la région de Berlin, même ceux qui étaient basés assez loin, soient dirigés immédiatement vers l’usine de chars qui brûlait.
Pendant ce temps j’étais arrivé à Allkett. Certes, le grand atelier de l’usine avait brûlé en grande partie, mais le foyer de l’incendie avait déjà été éteint par les pompiers de Berlin. Bientôt, à la suite des ordres donnés par Hitler, les régiments de pompiers commencèrent à affluer, venant de villes assez éloignées comme Brandenburg, Oranienburg ou Potsdam, et les colonels qui les commandaient venaient se présenter à moi les uns après les autres pour annoncer leur arrivée. Comme ils avaient reçu des ordres directement du Führer, je ne pouvais même pas les envoyer éteindre d’autres incendies très graves, si bien qu’au petit matin, dans un vaste périmètre autour de l’usine, les rues étaient encombrées d’une foule de pompiers inactifs, alors que dans les autres quartiers de Berlin les incendies se propageaient sans qu’on fît rien pour s’y opposer.
En septembre 1943, pour éclairer mes collaborateurs sur les problèmes posés par l’armement de l’aviation, nous organisâmes, Milch et moi, un congrès de l’armement au centre d’essai de la Luftwaffe situé à Rechlin près du lac Müritzsee. Milch et ses experts parlèrent entre autres choses de la production d’avions chez l’ennemi pour les temps à venir. Tous les modèles nous furent présentés les uns après les autres, à l’aide de représentations graphiques, et surtout les courbes de la production américaine furent comparées avec les nôtres. Ce qui nous parut le plus angoissant, c’étaient les chiffres concernant les bombardiers de jour quadrimoteurs dont la production allait être décuplée. Ce que nous endurions actuellement n’était qu’un prélude à ce qui allait suivre.
Naturellement la question qui se posait était celle-ci : Dans quelle mesure Hitler et Göring étaient-ils informés de ces chiffres ? D’un ton amer, Milch m’expliqua qu’il essayait vainement depuis plusieurs mois d’obtenir que ses experts puissent renseigner Göring sur les armements de l’ennemi. Göring ne voulait pas en entendre parler ; le Führer lui avait dit que tout cela n’était que de la propagande et il avait pris ses réflexions pour argent comptant.
Quant à moi je n’avais pas plus de succès quand je m’évertuais à attirer l’attention de Hitler sur les indices de la production ennemie : « Ne donnez donc pas dans le panneau ! Toutes ces informations ne sont que du bluff. Évidemment les défaitistes du ministère de l’Air s’y laissent prendre à tout coup. » Déjà pendant l’hiver 1942 il avait écarté toutes les mises en garde par des réflexions de ce genre ; maintenant que nos villes étaient réduites en cendres les unes après les autres, il persistait dans son point de vue.
A la même époque, je fus témoin d’une scène orageuse entre Göring et Galland, le général de la chasse allemande. Ce jour-là, Galland avait annoncé à Hitler que plusieurs chasseurs américains, qui escortaient des formations de bombardiers, avaient été abattus non loin d’Aix-la-Chapelle. Il avait ajouté qu’à son avis nous allions être exposés à un grave danger si les Américains réussissaient dans un avenir proche à doter leurs avions de chasse de réservoirs supplémentaires plus grands : la chasse américaine pourrait alors escorter les formations de bombardiers beaucoup plus loin à l’intérieur du territoire allemand. Göring, à qui Hitler avait fait part des inquiétudes de Galland, se disposait à partir pour la lande de Rominten. Au moment où il allait monter dans son train spécial,
Weitere Kostenlose Bücher