Au Coeur Du Troisième Reich
Galland arriva pour prendre congé de lui : « Qu’est-ce qui vous prend, lui demanda Göring d’un ton hargneux, de raconter au Führer que des chasseurs américains ont survolé le territoire du Reich ? – Monsieur le Reichsmarschall, bientôt ils iront encore plus loin », répliqua Galland, parfaitement calme. Göring s’emporta : « Enfin, Galland, ça n’a pas de sens, comment pouvez-vous raconter de pareilles inventions, c’est une histoire à dormir debout ! » Galland hocha la tête : « C’est la réalité, monsieur le Reichsmarschall. » Avec sa casquette légèrement inclinée, son long cigare entre les dents, il avait une attitude volontairement désinvolte : « Des chasseurs américains ont été abattus près d’Aix-la-Chapelle. Cela ne fait aucun doute ! » Göring, obstiné, ne voulait pas céder : « Ce n’est pas vrai, Galland, c’est tout bonnement impossible ! » Galland rétorqua avec une pointe d’ironie. « Vous pouvez toujours faire faire des recherches pour savoir si des chasseurs américains ne sont pas tombés à côté d’Aix-la-Chapelle, monsieur le Reichsmarschall. » Göring essaya de se montrer plus conciliant : « Allons, Galland, dites-vous bien ceci : moi aussi je suis un pilote expérimenté. Je sais ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Avouez-le : vous vous êtes trompé ! » Pour toute réponse Galland hocha la tête en signe de dénégation, jusqu’à ce que Göring déclare : « Il n’y a qu’une possibilité, c’est qu’ils aient été touchés beaucoup plus loin à l’ouest. Je veux dire que s’ils volaient très haut, au moment où ils ont été touchés, ils ont pu parcourir une bonne distance en vol plané. » Impassible, Galland demanda : « Vers l’est, monsieur le Reichsmarschall ? Moi, si je suis touché… » Cette fois Göring usa d’autorité pour clore la discussion : « Monsieur Galland, je vous ordonne formellement d’admettre que les chasseurs américains ne sont pas arrivés jusqu’à Aix-la-Chapelle. » Le général tenta une dernière fois de le contredire : « Pourtant ils y étaient, monsieur le Reichsmarschall ! » Alors Göring explosa : « Je vous ordonne formellement d’admettre qu’ils n’y étaient pas. Avez-vous compris ? Les chasseurs américains ne sont pas venus jusqu’à Aix-la-Chapelle, c’est compris ? Je raconterai cela au Führer ! » Et Göring planta là le général Galland et partit. Il se retourna encore une fois menaçant : « C’est un ordre. » Avec un sourire inoubliable, Galland répondit : « A vos ordres, monsieur le Reichsmarschall ! »
En fait, Göring ne s’aveuglait pas sur la réalité. J’eus quelquefois l’occasion de l’entendre porter sur la situation des jugements pertinents. Il agissait plutôt comme un homme en faillite qui veut jusqu’à la fin setromper soi-même et tromper les autres. Son humeur versatile, son attitude désinvolte devant la réalité avaient déjà, en 1941, poussé Ernst Udet, le célèbre pilote de chasse, devenu le premier directeur général du service du matériel de la Luftwaffe, à mettre fin à ses jours. Le 18 août 1943, on trouva un autre adjoint direct de Göring, le général Jeschonnek, depuis plus de quatre ans chef d’état-major général de la Luftwaffe, mort dans son bureau. Lui aussi s’était suicidé. Sur sa table on découvrit, comme Milch me l’apprit, une note demandant que Göring n’assiste pas à son enterrement. Göring assista néanmoins aux obsèques et déposa, au nom de Hitler, une couronne mortuaire sur la tombe du général 27 .
J’ai toujours pensé que l’une des qualités les plus enviables consiste à regarder la réalité en face et à ne pas se repaître de chimères. Pourtant, en jetant un regard rétrospectif sur ma vie jusqu’à mes années de prison, je me rends compte qu’à aucun moment je n’ai été à l’abri des illusions.
Cette tendance à se dérober devant la réalité, qui se généralisait visiblement, n’était pas un trait particulier au régime national-socialiste. Mais alors que dans des circonstances normales, il se trouve différents facteurs susceptibles de porter remède à ce refus du réel, le milieu qui nous entoure, les railleries, les critiques, l’incrédulité auxquelles on se trouve exposé, aucun de ces antidotes n’existait sous le III e Reich, surtout quand on appartenait à la sphère dirigeante. Bien au
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