Au Coeur Du Troisième Reich
Hitler, sans se préoccuper de cela, continua : « Vous n’avez en aucun cas à remettre un mémoire au chef d’état-major ! Si vous désirez quelque chose, je vous serai très obligé de vous adresser à moi ! Vous m’avez mis dans une situation intolérable. Je viensde donner l’ordre de rassembler toutes les forces disponibles pour défendre Nikopol. J’ai enfin un bon prétexte pour forcer le groupe d’armées à se battre ! Et voilà Zeitzler qui arrive avec votre mémoire. On va me prendre pour un menteur ! Si Nikopol tombe, ce sera votre faute. Je vous défends une fois pour toutes, vociféra-t-il pour finir, de transmettre à quelqu’un d’autre quelque mémoire que ce soit. Vous avez compris ? Je vous l’interdis ! »
Malgré tout, mon mémoire produisit son effet car, peu de temps après, Hitler renonça à sa bataille pour défendre les mines de manganèse ; comme d’autre part la pression des troupes soviétiques se relâcha dans cette région, Nikopol ne tomba que le 18 février 1944.
Je remis ce jour-là à Hitler un second mémoire dans lequel j’avais fait calculer le montant de nos réserves pour tous les métaux entrant dans les alliages. En précisant que ces calculs ne tenaient pas compte des métaux provenant des Balkans, de la Turquie, de Nikopol, de la Finlande et de la Norvège, j’avais prudemment laissé entendre que je considérais comme vraisemblable la perte de ces territoires. Les résultats étaient résumés dans le tableau suivant :
Manganèse
Nickel
Chrome (en tonnes)
Wolfram
Molybdène
Silicium
Réserves dans le pays
140 000
6 000
21 000
1 330
425
17 900
Production intérieure
8 100
190
15,5
4 200
Consommation
15 500
750
3 751
160
69,5
7 000
Couverture des besoins en mois
19
10
5,6
10,6
7,8
6,4
Ce tableau figurait dans mon mémoire, assorti de cette remarque : « Ce sont nos réserves de chrome qui sont les plus faibles, ce qui est très grave, car sans chrome il n’est pas possible de maintenir une industrie d’armements très développée. Si le chrome en provenance des Balkans et de la Turquie vient à manquer, la couverture de nos besoins en chrome n’est actuellement garantie que pour 5, 6 mois. Cela signifie qu’après épuisement de nos stocks de lingots, qui allongerait de deux mois le délai susmentionné, notre production d’armements s’arrêterait au bout de un à trois mois après ce délai, et cela dans les branches les plus importantes et les plus diverses de l’armement : avions, chars, véhicules motorisés, obus antichars, sous-marins, presque toute la production de canons ; en effet jusqu’à maintenant les stocks utilisés pour la production ont été épuisés 15 . »
En clair cela voulait dire que la guerre serait terminée environ dix mois après la perte des Balkans. Hitler écouta sans mot dire mon exposé aux termes duquel ce n’était pas Nikopol mais les Balkans qui décideraient de l’issue de la guerre. Puis, mécontent, il me planta là pour se tourner vers Saur, mon adjoint, et discuter avec lui de nouveaux programmes de chars.
Jusqu’à l’été 1943, Hitler me téléphonait au début de chaque mois pour que je lui communique les derniers chiffres de la production ; il les inscrivait sur une liste préparée à l’avance. Je lui annonçais les chiffres dans l’ordre prévu et Hitler enregistrait généralement en s’exclamant : « Très bien ! Mais c’est magnifique ! Vraiment cent dix « Tigres » ! c’est plus que vous n’aviez promis… et combien de « Tigres » pensez-vous pouvoir livrer le mois prochain ? Maintenant tout char supplémentaire a son importance… » Parfois il terminait ces conversations par de brèves indications sur la situation militaire : « Aujourd’hui nous avons pris Charkow. Les opérations marchent bien. Eh bien, merci de votre appel. Mes hommages à madame votre épouse. Est-ce qu’elle est encore à Obersalzberg ? encore une fois tous mes compliments. » Je le remerciais et prenais congé d’un « Heil mon Führer ! » à quoi il répondait parfois : « Heil Speer. » Cette formule était dans la bouche de Hitler une distinction qu’il accordait rarement à Göring, Goebbels ou quelque autre de ses familiers et où perçait une nuance d’ironie à propos du « Heil, mon Führer ! » officiellement utilisé. A ces moments-là j’avais le sentiment que mon travail était récompensé. Je n’apercevais pas tout
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