Au Coeur Du Troisième Reich
ce qu’il y avait de condescendance dans ce ton familier. Sans doute la fascination des premières années, la simplicité dont il avait fait preuve avec moi dans la vie privée avaient-elles disparu depuis longtemps ; sans doute avais-je perdu la position spéciale et privilégiée que j’occupais quand j’étais son architecte, pour devenir l’un parmi tant d’autres dans l’appareil de l’État ; mais en dépit de tout cela, la parole de Hitler n’avait rien perdu de sa puissance magique. D’ailleurs, à y regarder de près, sa parole, ou ce qu’elle représentait, constituait l’enjeu de toutes les intrigues et de toutes les rivalités. La position de chacun d’entre nous ne dépendait que d’elle.
Les appels téléphoniques de Hitler cessèrent peu à peu, il est difficile de déterminer le moment exact ; en tout cas c’est sans doute à partir de l’automne 1943 que Hitler prit l’habitude de faire appeler Saur au téléphone pour se faire communiquer le bilan de la production mensuelle 16 . Je ne fis rien pour me défendre, car je reconnaissais à Hitler le droit de me reprendre ce qu’il m’avait confié. Comme par surcroît Bormann entretenait d’excellents rapports aussi bien avec Saur qu’avec Dorsch, qui tous deux étaient de vieux compagnons du parti, je commençai peu à peu à éprouver un certain sentiment de malaise au sein de mon propre ministère.
Pour tenter de consolider ma position, j’entrepris d’adjoindre à chacun de mes dix directeurs généraux un représentant de l’industrie 17 . Mais Saur et Dorsch, justement, surent soustraire leur service à cette mesure. Bientôt des symptômes se précisèrent indiquant qu’une cabale s’était montée dans mon ministère, sous la conduite de Dorsch ; exécutant alors une sorte de coup d’État, je nommai le 21 décembre 1943, à la tête des services du personnel et de l’organisation 18 , deux hommes de confiance, qui avaient été mes collaborateurs à l’époque où je m’occupais des bâtiments, et je plaçai sous leur responsabilité l’organisation Todt qui jusqu’alors était restée autonome.
Le lendemain, pour m’évader et oublier les dures contraintes de l’année 1943, les intrigues qui l’avaient marquée et les nombreuses déceptions personnelles qu’elle m’avait réservées, je partis pour la Laponie du Nord, le plus lointain et le plus désert de tous les territoires sur lesquels s’étendait notre souveraineté. Hitler, qui, en 1941 et 1942, s’était toujours opposé à ce que je parte en voyage en Norvège, en Finlande ou en Russie, sous prétexte qu’un tel voyage était trop risqué et que ma présence lui était indispensable, me donna cette fois son consentement sans l’ombre d’une hésitation.
Nous décollâmes à l’aube avec mon nouveau Condor, un quadrimoteur des usines Foke-Wulf ; des réservoirs supplémentaires lui donnaient une très grande autonomie 19 . Le violoniste Siegfried Borries et un prestigiditateur amateur, qui acquit après la guerre la célébrité sous le nom de Kalanag, étaient du voyage car, au lieu de prononcer des discours, je voulais organiser un Noël sympathique pour les soldats et les ouvriers de l’organisation Todt du grand Nord. Volant à basse altitude, nous pouvions observer les lacs finlandais, l’un des buts de voyage dont j’avais rêvé pendant mes jeunes années et que ma femme et moi nous avions voulu parcourir avec notre canot pliant et notre tente. Aux premières heures de l’après-midi, c’est-à-dire dans cette région nordique, aux dernières heures du crépuscule, notre appareil se posa sur un terrain de fortune, un champ de neige balisé par des lampes à pétrole, non loin de Rovaniemi.
Dès le lendemain nous partions en voiture découverte vers le nord, pour atteindre, à 600 kilomètres de là, Petsamo, un petit port situé sur l’océan Glacial. Nous roulions dans un paysage monotone qui évoquait la haute montagne, mais le soleil, caché derrière l’horizon, illuminait le décor d’une lumière changeante, passant du jaune au rouge avec toutes les nuances intermédiaires, et le spectacle était d’une fantastique beauté. A Petsamo, nous fêtâmes Noël avec les ouvriers, les soldats, les officiers, et les soirs suivants d’autres fêtes eurent lieu dans les autres quartiers. Le lendemain de Noël nous passâmes la nuit dans la cabane de rondins du général qui commandait le front de
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