Au Coeur Du Troisième Reich
des Gauleiter pour justifier son ordre de démolir un monument : les châteaux et les édifices religieux étaient les bastions de la réaction, ils étaient un obstacle dressé devant notre révolution. Ainsi se révélait un fanatisme qui avait été à l’origine la marque du parti, mais que les compromis et les arrangements avec le pouvoir avaient peu à peu émoussé.
Pour moi, la préservation du passé historique des villes allemandes et la préparation de la reconstruction sur des bases rationnelles revêtaient une telle importance qu’en novembre et en décembre 1943, au moment même où la guerre atteignait à la fois son paroxysme et son tournant, j’adressai à tous les Gauleiter un mémoire dont la teneur s’écartait notablement des idées qui étaient à la base de mes projets d’avant la guerre. Je préconisais de renoncer aux ambitions artistiques exagérées pour prôner l’économie ; planification généreuse de la circulation pour obvier à l’asphyxie des villes, construction industrialisée des logements, assainissement des vieux quartiers, construction des immeubles commerciaux dans les quartiers du centre : telles étaient les idées que je défendais 12 . Il n’était plus question pour moi d’élever de grands édifices monumentaux. Depuis le début de la guerre, l’envie m’en avait passé, de même sans doute qu’à Hitler, avec lequel je discutai les grandes lignes de ma nouvelle conception de l’urbanisme.
Au début du mois de novembre les troupes soviétiques approchèrent de Nikopol, qui était le centre des mines de manganèse. A cette époque se produisit un incident qui montre Hitler sous un jour tout aussi déconcertant que Göring, lorsque ce dernier avait ordonné au général commandant l’aviation de chasse de nier volontairement la réalité.
Dans les premiers jours de novembre 1943, Zeitzler, le chef de l’état-major général, me téléphona tout bouleversé pour m’avertir qu’il venait d’avoir une violente discussion avec Hitler. Ce dernier avait insisté sans vouloir en démordre pour qu’on affecte à la défense de Nikopol toutes les divisions disponibles se trouvant à proximité de cette ville. Sans manganèse, avait affirmé Hitler en proie à une grande agitation, la guerre serait très rapidement perdue ! Speer se verrait obligé de mettre un terme dans les trois mois à la production d’armements, car il n’aurait plus de réserves 13 . Zeitzler me demanda avec insistance de lui venir en aide. Au lieu de concentrer les troupes, il était plutôt temps d’engager la retraite, si on voulait éviter un second Stalingrad.
Immédiatement après cette conversation téléphonique, je rencontrai nos experts de l’industrie sidérurgique, Röchling et Rohland, afin de faire le point sur l’état de nos réserves de manganèse. Bien sûr, ce métal était l’un des éléments les plus importants nécessaires à la production d’aciers spéciaux mais, d’après le coup de téléphone de Zeitzler, il était non moins évident que les usines de manganèse de la Russie du Sud était perdues d’une manière ou d’une autre. Mes entretiens avec les experts nous permirent de dresser un bilan plus positif que je ne l’aurais cru. Je le communiquai par télex à Hitler et Zeitzler le 11 novembre : « Si nous conservons les processus de fabrication actuellement utilisés, nous disposons dans le territoire du Reich de stocks de manganèse pour une durée de onze à douze mois. Si nous perdons Nikopol, l’Union industrielle nationale « Fer » garantit que nous pourrons tenir dix-huit mois avec ces réserves, en adoptant de nouveaux procédés de fabrication et sans compromettre la fabrication des autres alliages 14 . » Je constatais en même temps que même la perte de Kriwoi-Rog, une ville située à proximité de Nikopol, que Hitler voulait conserver au prix d’une grande bataille défensive, n’empêcherait pas la production d’acier de l’Allemagne de continuer normalement.
Deux jours plus tard j’arrivai au quartier général du Führer. Hitler, de fort méchante humeur, m’apostropha sur un ton cassant auquel il ne m’avait pas accoutumé : « Qu’est-ce qui vous prend de remettre au chef d’état-major général votre mémoire sur nos stocks de manganèse ? » Je m’étais attendu à trouver Hitler satisfait ; décontenancé, je ne sus que dire : « Mais, mon Führer, le bilan est positif ! »
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