Au Coeur Du Troisième Reich
« Vous est-il possible, camarade Sauckel, de fournir cette année quatre millions de travailleurs, oui ou non ? »
Sauckel bomba le torse : « Bien sûr, mon Führer, je vous le promets ! Vous pouvez être assuré que j’y parviendrai, mais il me faut avoir une bonne fois les coudées franches dans les territoires occupés. » Je fis quelques objections, en disant qu’à mon avis il était possible de mobiliser la majeure partie de ces millions de travailleurs en Allemagne même, mais Hitler m’interrompit brutalement : « Est-ce vous le responsable de la main-d’œuvre, ou le camarade Sauckel ? » Sur un ton qui excluait toute réplique, il ordonna à Keitel et à Himmler de donner à leurs agents des instructions pour qu’ils s’emploient à activer le programme de recrutement de la main-d’œuvre. Keitel ne faisait que répéter : « Mais oui, mon Führer ! » et Himmler resta muet ; le combat semblait déjà perdu. Pour sauver encore quelque chose, je demandai à Sauckel si, malgré le recrutement des travailleurs dans les pays occidentaux, il pouvait garantir également les besoins de main-d’œuvre des entreprises protégées. Sauckel, l’air important, assura que cela ne posait pas de problèmes. Je tentaialors de définir des priorités, pour obliger Sauckel à ne recruter des travailleurs pour l’Allemagne que lorsque les besoins des entreprises protégées seraient satisfaits. Sauckel acquiesça une nouvelle fois d’un geste de la main. Hitler intervint sur-le-champ : « Qu’est-ce que vous voulez encore, monsieur Speer, puisque le camarade Sauckel vous en donne l’assurance ? Vos craintes au sujet de l’industrie française sont sans fondement ! » Continuer à discuter n’aurait fait que renforcer la position de Sauckel. La séance fut levée, Hitler s’était radouci et il échangea même avec moi quelques paroles aimables. Mais en fait, cette réunion ne fut suivie d’aucun résultat. La relance des déportations projetée par Sauckel n’eut jamais lieu. D’ailleurs je dois dire que mes tentatives pour contrecarrer ses plans par le truchement de mes services en France et grâce à l’aide des autorités de la Wehrmacht n’y furent pas pour grand-chose 23 . Ce qui empêcha la réalisation de tous ses projets fut l’affaiblissement de notre autorité dans les territoires occupés, l’extension de la puissance des maquis et la répugnance grandissante des autorités allemandes d’occupation à accroître leurs difficultés.
Les seules répercussions de la conférence qui venait de se tenir au quartier général me concernaient personnellement. La façon dont Hitler m’avait traité avait démontré à tout le monde que j’étais tombé en disgrâce. Dans cette querelle qui m’avait opposé à Sauckel, le vainqueur s’appelait Bormann. A dater de ce jour-là, mes collaborateurs de l’industrie furent en butte à des attaques d’abord menées en sous-main, puis bientôt de plus en plus déclarées ; je fus obligé de plus en plus fréquemment de les défendre contre les soupçons de la Chancellerie du parti et même d’intervenir en leur faveur auprès du Service de sécurité 24 .
Je ne pouvais guère trouver un dérivatif à toutes mes préoccupations en participant à l’événement qui réunit une dernière fois, dans un cadre somptueux, les grands dignitaires du Reich. A l’occasion de son anniversaire, Göring donna à Karinhall, le 12 janvier 1944, une grande réception de gala. Tous nous arrivâmes chargés de précieux cadeaux, comme Göring l’avait demandé : cigares de Hollande, lingots d’or des Balkans, tableaux et sculptures de valeur. Göring m’avait fait savoir qu’il aimerait recevoir de moi un très grand buste en marbre de Hitler par Breker. Dans la grande bibliothèque avait été dressée une table qui croulait sous les cadeaux : Göring la fit admirer à ses éminents invités et y déploya des plans que son architecte avait exécutés pour son anniversaire : Göring voulait doubler les dimensions de sa résidence, déjà semblable à un château.
Dans la luxueuse salle à manger avait été dressé un couvert somptueux et les valets de chambre en livrée blanche nous servirent un repas point trop plantureux, en rapport avec les circonstances. Comme chaque année, et ce jour-là pour la dernière fois, Funk prononça pendant le banquet l’allocution d’anniversaire. Il chanta les louanges de Göring,
Weitere Kostenlose Bücher