Au Coeur Du Troisième Reich
célébra ses mérites, ses qualités et ses titres dans les termes les plus élogieux et lui porta un toast en l’appelant « l’un des plus grands parmi les Allemands ». Les formules enflammées de Funk contrastaient de façon grotesque avec la situation réelle du pays : l’effondrement imminent du Reich composait la toile de fond devant laquelle se déroulait cette célébration fantomatique.
Après le repas, les invités se dispersèrent dans les vastes pièces de Karinhall. Au cours de la conservation que j’eus avec Milch, nous nous demandâmes d’où pouvait bien venir l’argent qui avait financé un pareil luxe. Milch me raconta que Lœrzer, le célèbre pilote de la Première Guerre mondiale, et vieil ami de Göring, lui avait livré peu de temps auparavant un wagon rempli d’objets acquis en Italie au marché noir : bas pour dames, savonnettes et autres objets rares. Milch pouvait faire revendre tout cela au marché noir : un tarif avait été joint, sans doute pour que les prix soient les mêmes dans tout le Reich ; un bénéfice substantiel avait déjà été calculé qui devait revenir à Milch. Mais ce dernier avait fait distribuer toutes ces marchandises aux employés de son ministère. Peu de temps après il avait appris que beaucoup d’autres wagons avaient été vendus au profit de Göring. Quelques jours plus tard, Plagemann, l’intendant du ministère de l’Air, qui était chargé de mener ces affaires pour Göring, avait été soustrait au contrôle de Milch et placé sous les ordres directs de Göring.
Les anniversaires de Göring me valurent quelques mauvaises surprises. Étant membre du Conseil d’État de Prusse, je touchais 6 000 RM par an ; or chaque année, juste avant l’anniversaire de Göring, je recevais une note précisant qu’on retiendrait sur ce traitement une somme importante en vue du cadeau d’anniversaire que le Conseil d’État faisait à Göring. Jamais on ne me demanda mon consentement. Comme je racontais cela à Milch, ce dernier me signala qu’on procédait de la même façon avec les fonds de roulement du ministère de l’Air. Chaque année, pour l’anniversaire de Göring, on prélevait sur ces fonds une somme coquette qui était versée au compte du Reichsmarschall et ce dernier décidait lui-même quel tableau cette somme servirait à acheter.
Nous n’ignorions pas que tout cela était loin de suffire à financer les énormes dépenses de Göring. Mais nous ne savions pas exactement qui, parmi les industriels, fournissait le reste ; qu’il y eût des bailleurs de fonds, Milch et moi pouvions le constater de temps à autre, quand Göring nous téléphonait qu’un de ses favoris avait été traité un peu rudement par nos organisations.
Les expériences que j’avais récemment vécues en Laponie, les rencontres que j’y avais faites formaient le contraste le plus vif qui se pût imaginer avec l’atmosphère de serre chaude où s’agitait cette société factice et corrompue. En outre l’évolution de mes rapports avec Hitler me tourmentait certainement plus que je ne voulais me l’avouer. La tension presque continuelle qui durait depuis deux ans se faisait maintenant sentir. A trente-huit ans j’étais physiquement presque complètement usé. La douleur dans mon genou gauche ne me laissaitpratiquement plus aucun répit. J’étais à bout de forces. Ou bien est-ce que tout cela n’était, inconsciemment, qu’une fuite ?
Le 18 janvier 1944, je fus transféré dans un hôpital.
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49 . Ces usines furent aussi appelées, en France, usines « S » (en allemand : Sch u tzbetriebe ou Sperrbetriebe ).
Troisième partie
23.
Malade
Le professeur Gebhardt, Gruppenführer SS, célèbre orthopédiste connu dans tout le monde européen du sport 1 , dirigeait l’hôpital de la Croix-Rouge de Hohenlychen, situé au milieu des bois, au bord d’un lac, à une centaine de kilomètres environ au nord de Berlin. Sans le savoir, je m’étais mis dans les mains d’un ami de Himmler, une des rares personnes qui fût à tu et à toi avec lui. Durant plus de deux mois, j’ai vécu dans la clinique privée du professeur, à l’écart de l’hôpital, dans une chambre toute simple. Un certain nombre d’autres chambres de la clinique étaient occupées par mes secrétaires, une liaison téléphonique directe avec le ministère avait été installée, car je voulais continuer à travailler.
Être malade sous le III e Reich,
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