Au Coeur Du Troisième Reich
leur avions donnée de leur conserver intacte leur mine s’ils renonçaient à la saboter.
Au début du mois de mars, je me rendis dans la Ruhr pour y discuter aussi des mesures qu’exigeaient la fin imminente du Reich et le redémarrage économique. Ce qui inquiétait surtout les industriels, c’étaient les voies de communications. Si d’un côté les mines et les aciéries restaient intactes, mais que de l’autre tous les ponts étaient détruits, le cycle charbon-acier-laminoirs se trouverait interrompu. C’est pourquoi j’allai trouver le jour même le Feldmarschall Model 2 . Il était dans tous ses états, car Hitler venait de lui donner l’ordre d’attaquer l’ennemi sur ses flancs près de Remagen, pour lui reprendre le pont. Or les divisions que Hitler voulait lancer dans cette opération avaient, comme Model me le raconta avec résignation, « perdu en même temps que leurs armes toute puissance de feu et auraient au combat moins de valeur qu’une compagnie ! Au quartier général, ils n’ont encore une fois aucune idée de la situation !… Et c’est à moi qu’ils feront encore endosser la responsabilité de l’échec ». Le mécontentement que l’ordre de Hitler avait suscité chez Model le disposa à écouter mes propositions. Il me garantit que, dans la bataille de la Ruhr, il épargnerait les ouvrages d’art indispensables à l’économie, et surtout les installations ferroviaires.
Pour endiguer la funeste vague de destructions de ponts, je convins avec le général Guderian de préparer un décret 3 fixant les principes que devraient suivre à l’avenir « les mesures de destruction sur le territoire allemand » et interdisant de faire sauter tous les ponts « indispensables au ravitaillement de la population allemande ». Le décret prévoyait que les destructions absolument nécessaires devraient se limiter au strict minimum, et qu’on interromprait les communications le moins possible. Guderian avait déjà voulu prendre sous sa propre responsabilité de telles dispositions pour le terrain d’opérations de l’Est. Mais quand il essaya d’obtenir également la signature de Jodl, responsable du front Ouest, celui-ci le renvoya à Keitel. Ce dernier garda le projet par-devers soi, déclarant qu’il en parlerait à Hitler. Le résultat était prévisible : à la conférence d’état-major qui suivit, Hitler, indigné de la proposition de Guderian, renouvela ses précédentes dispositions, prescrivant des mesures de destruction très sévères.
Vers le milieu du mois de mars, je rédigeai à l’intention de Hitler un nouveau mémoire, pour lui faire part en toute franchise de mon avis sur les mesures qu’il convenait de prendre à ce dernier stade de la guerre. Cet écrit, je le savais, violait tous les tabous que Hitler avait dressés ces derniers mois autour de lui. Pourtant, j’avais, quelques jours auparavant, convoqué à Bernau tous mes collaborateurs de l’industrie pour leur expliquer que je prendrais sur moi, dût-il m’en coûter la tête, l’ordre de ne détruire les usines en aucun cas, même si la situation militaire continuait à se dégrader. En même temps, j’envoyai une circulaire à mes services pour leur enjoindre à nouveau de s’abstenir de toutes destructions 4 .
Pour pousser Hitler à lire ce mémoire, je consacrai, sur le ton habituel, les premières pages à un rapport sur l’extraction de la houille. Pourtant, à la deuxième page déjà, un bilan reléguait l’industrie d’armement à la dernière place, la faisant précéder des besoins civils : alimentation, ravitaillement, gaz, électricité 5 . Sans transition, le mémoire continuait par l’affirmation qu’ « en toute certitude on devait s’attendre à l’effondrement définitif de l’économie allemande » dans quatre à huit semaines, et qu’à la suite de cet effondrement « on ne pourrait pas non plus continuer la guerre sur le plan militaire ». A l’adresse de Hitler venait ensuite cette phrase : « Personne n’a le droit d’adopter le point de vue selon lequel le sort du peuple allemand est lié au sien propre. » « Car, continuais-je, le suprême devoir des dirigeants, en ces dernières semaines de guerre, doit être d’aider le peuple partout où c’est possible. » Je terminais le mémoire par ces mots : « Nous n’avons pas le droit, à ce stade de la guerre, de prendre l’initiative de destructions qui pourraient
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