Au Coeur Du Troisième Reich
mais qu’il m’imposait de faire avorter ses ordres de destruction. Cela aussi me procura un grand soulagement, car tout coexistait encore : la fidélité, la rébellion, le loyalisme et la révolte. J’auraistoujours été incapable, la peur mise à part, de me présenter devant Hitler le revolver à la main. En face de lui, sa force de suggestion exerça sur moi jusqu’au dernier jour un pouvoir trop grand.
La totale confusion de mes sentiments s’exprima par le fait que, bien que voyant toute l’immoralité de son attitude, je ne pus m’empêcher de déplorer son déclin irrésistible et l’effondrement de son existence fondée sur la conscience qu’il avait de sa valeur. En face de lui, j’éprouvais désormais un mélange de répulsion, de pitié et de fascination.
En outre, j’avais peur : lorsque je voulus me présenter devant lui à la mi-mars avec un mémoire qui reprenait le thème interdit de la guerre perdue, je voulus joindre à mon mémoire une lettre personnelle. Avec le crayon vert réservé au ministre que j’étais, je me mis, d’une écriture qui trahissait mon agitation, à rédiger un brouillon. Le hasard voulut que je l’écrive au verso de la feuille sur laquelle ma secrétaire avait noté la citation de Mein Kampf avec la machine à gros caractères qui servait pour les documents adressés à Hitler. Je voulais toujours lui rappeler sa propre incitation à la révolte dans une guerre perdue.
« J’ai été contraint d’écrire le mémoire ci-joint », ainsi commençait ma lettre. « Ma qualité de ministre du Reich pour l’armement et la production de guerre m’y oblige de par les devoirs qu’elle implique vis-à-vis de vous et du peuple allemand. » J’hésitai à ce moment et modifiai ma phrase. Je corrigeai en plaçant « le peuple allemand » devant « Hitler » et je poursuivis : « Je sais que cette lettre ne peut manquer d’avoir pour moi personnellement de graves conséquences. »
Le brouillon s’arrête à cet endroit. J’avais également modifié cette dernière phrase. Je m’en remettais à la discrétion de Hitler. La modification était minime : « … peut entraîner pour moi personnellement de graves conséquences. »
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53 . « Chasseur populaire », ce mot est manifestement formé sur le modèle de « Volkswagen ». (N.D.T.)
54 . En français dans le texte. (N.D.T.)
29.
La condamnation
A ce dernier stade de la guerre, mon seul dérivatif fut une activité forcenée. J’avais laissé à mon collaborateur Saur le soin de s’occuper de la production d’armements qui, de toute façon, touchait à sa fin 1 . Moi, en revanche, je développais mes contacts avec mes collaborateurs de l’industrie pour discuter avec eux des problèmes urgents de l’approvisionnement et du passage à l’industrie d’après guerre.
Le plan Morgenthau fut pour Hitler et pour le parti une bonne occasion de prouver à la population que la défaite réglerait définitivement son sort. De larges milieux se laissèrent effectivement influencer par cette menace. Nous, en revanche, nous avions depuis longtemps une tout autre conception de l’évolution ultérieure de la situation. Car Hitler et ses familiers avaient, pour les territoires occupés poursuivi des buts analogues à ceux du plan Morgenthau ; ils l’avaient seulement fait d’une manière plus décidée et plus approfondie. Or l’expérience prouvait qu’en Tchécoslovaquie et en Pologne, en Norvège et en France, la production industrielle, à l’encontre des desseins allemands, se développait à nouveau, car il était finalement plus tentant de la remettre en marche pour son propre compte que de se laisser gagner par les obsessions et l’animosité d’idéologues aveuglés par leur nationalisme. Mais lorsqu’on commençait à remettre en marche l’industrie d’un pays, on était obligé de maintenir les conditions fondamentales de fonctionnement de son économie, de nourrir et d’habiller les hommes, de leur payer des salaires.
C’est ainsi, en tout cas, que cela se passait dans les territoires occupés. Mais cela ne pouvait se réaliser, à notre avis, que si le mécanisme de la production restait, en gros, intact. Vers la fin de la guerre, surtout après avoir renoncé à mon projet d’attentat, je ne m’occupai presque plus que d’une chose, sauver, sans préjugés idéologiques ou nationalistes, et en dépit de toutes les difficultés, toute la substance
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