Au Coeur Du Troisième Reich
sens favorable. Vers la mi-février, quelques jours après la visite de Lüschen, je me trouvai avec Stahl dans une des pièces de notre abri de Berlin pendant un bombardement important. La situation se prêtait à une conversation franche. Nous parlâmes dans cette pièce austère, avec ses murs de béton, sa porte d’acier et ses chaises toutes simples, des événements de la Chancellerie du Reich et de la politique du pire qu’on y pratiquait. Soudain Stahl étreignit mon bras et s’écria : « Ce sera terrible, terrible. »
Je me renseignai prudemment au sujet du nouveau gaz et lui demandai s’il pouvait me le fournir. Bien que la question sortît absolument de l’ordinaire, Stahl se montra tout disposé à aborder ce problème. Au cours d’une interruption soudaine, je dis : « C’est le seul moyen de mettre fin à cette guerre. Je vais tenter d’introduire ce gaz dans le bunker de la Chancellerie du Reich. » Malgré le rapport de confiance qui s’était établi entre nous, je fus moi-même effrayé sur le moment de ma propre franchise. Mais Stahl ne fut ni consterné ni agité, et il me promit d’un ton calme de rechercher dans les prochains jours les moyens de parvenir à se procurer le gaz.
Quelques jours après, Stahl m’informa qu’il avait pris contact avec le directeur du service des munitions à la Direction de l’armement de l’armée de terre, le commandant Soyka. Il existait peut-être une possibilité, celle de modifier des grenades à fusil, qui étaient fabriquées dans l’usine de Stahl, pour expérimenter ce gaz. De fait, tout employé moyen d’une usine produisant des gaz toxiques avait accès plus facilement au tabun que le ministre des Munitions ou le directeur du Comité principal « Munitions ». Au cours de nos entretiens, il se révéla que le tabun n’était efficace qu’à la suite d’une explosion. Il n’était donc pas utilisable pour le but envisagé, car une explosion aurait déchiqueté les parois minces des conduits d’aération. On était déjà au début du mois de mars. Je continuais à chercher à réaliser mon dessein, car il semblait que c’était le seul moyen d’éliminer non seulement Hitler, mais Bormann, Goebbels et Ley pendant une des réunions nocturnes.
Stahl croyait qu’il serait bientôt en mesure de me procurer un gaz traditionnel. Depuis la construction de la Chancellerie du Reich, je connaissais Henschel, le chef technicien de la Chancellerie ; je lui suggérai de remplacer les filtres à air qui avaient trop servi. Hitler s’était plaint en ma présence de l’air vicié que l’on respirait dans le bunker. Vite, trop vite pour que je puisse agir, Henschel déposa le dispositif de filtrage, de sorte que les salles du bunker n’étaient plus protégées.
Mais même si nous nous étions déjà procuré le gaz, ces journées se seraient passées sans que nous ayons pu les mettre à profit. Car lorsque j’inspectai à cette époque sous un prétexte quelconque le conduit d’aération, tout avait changé. Sur les toits, des sentinelles SS en armes avaient été placées en faction, des projecteurs avaient été installés et là où récemment la bouche d’aération se trouvait au ras du sol, une cheminée de trois ou quatre mètres avait été construite, dont l’orifice était inaccessible. Je fus comme frappé de stupeur. Sur le moment je soupçonnai que mon projet avait été découvert. Mais, en fait, seul le hasard était responsable de ce changement. Hitler, qui avait été pour un temps aveuglé par du gaz toxique pendant la Première Guerre mondiale, avait ordonné la construction de cette cheminée, le gaz toxique étant plus lourd que l’air.
Au fond, j’éprouvai un soulagement en constatant que mon projet avait ainsi échoué définitivement. Pendant trois ou quatre semaines je fus poursuivi par la peur que quelqu’un ait pu découvrir notre complot ; parfois j’étais obnubilé par la pensée que quelqu’un pût deviner en me voyant ce que j’avais projeté de faire. Après tout, depuis le 20 juillet 1944, il fallait que je tienne compte du risque de voir ma famille, ma femme et surtout mes six enfants, obligée de rendre des comptes sur mon attitude.
Le projet que j’avais formé n’était pas seulement devenu irréalisable ; l’intention même de commettre un attentat s’évanouit aussi vite qu’elle m’était venue. Je ne considérais plus que mon devoir me commandait d’éliminer Hitler,
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