Au Coeur Du Troisième Reich
« Or, continuait-il, le Führer vient de me faire savoir qu’il ne songe nullement à vous accorder une autorisation exceptionnelle dans l’affaire Fromm. En conséquence, je ne verserai pas non plus votre déclaration au dossier 1 . » La sentence de mort fut exécutée, et je pris conscience de la gravité de ma propre situation.
Mais je me butai : quand, le 22 mars, Hitler me convia à assister à une conférence consacrée à l’armement, je me fis à nouveau représenter par Saur. Les notes prises par ce dernier me montrèrent que Hitler et lui, plongés dans une douce euphorie, n’avaient tenu aucun compte des réalités. Bien que la production d’armements eût touché à sa fin depuis longtemps, ils avaient bâti des projets comme s’ils avaient toute l’année 1945 à leur disposition. Ainsi, ils ne se contentèrent pas de fixer une production d’acier tout à fait irréaliste, mais décidèrent que le canon antichar de 88 devait être mis à la disposition de la troupe en « très grosse quantité » et que la production du mortier de 210 devait être augmentée ; ils se grisèrent à la pensée qu’ils allaient mettre au point des armes nouvelles : un nouveau fusil spécial pour les parachutistes, qui serait produit en très grand nombre, ou un nouveau mortier d’un calibre exceptionnel de 305. Le procès-verbal mentionnait également un ordre de Hitler selon lequel on devait lui présenter quelques semaines plus tard cinq nouvelles variantes des types de tanks existants. Il voulait en outre qu’on fît des recherches sur l’efficacité du « feu grégeois », connu depuis l’Antiquité, et qu’on transformât au plus vite l’armement de nos avions à réaction, les Me 262, pour en faire des avions de chasse. Sans le vouloir, il confirmait par cette dernière directive quelle erreur de tactique il avait commise dix-huit mois auparavant, en s’entêtant contre l’avis de tous les experts 2 .
J’étais rentré à Berlin le 21 mars. Trois jours plus tard, aux premières heures de la matinée, on m’annonça que des troupes anglaises largement déployées avaient passé le Rhin au nord de la Ruhr sans rencontrer de résistance. Nos troupes, je le savais par Model, étaient impuissantes. En septembre 1944, l’exceptionnel rendement de nos industries d’armement avait encore permis de reconstituer en peu de temps un front défensif à partir d’armées sans armes. A l’heure présente, de telles possibilités nous faisaient défaut : l’Allemagne était prise à revers.
Je repris ma voiture pour retourner dans la Ruhr, dont la sauvegarde déciderait du sort de l’Allemagne de l’après-guerre. Arrivés en Westphalie, une crevaison nous força à nous arrêter tout près du but. Dans une cour de ferme, je m’entretins avec des paysans qui, dans le soir tombant, ne me reconnurent point. Je fus très étonné de m’apercevoir que la confiance en Hitler, qu’on leur avait inculquée ces dernières années à grands coups de propagande, continuait d’agir, même dans cette situation. Hitler, affirmaient-ils, ne pourrait jamais perdre la guerre. « Le Führer a en réserve des atouts qu’il jouera au dernier moment. Ce sera alors le grand tournant. Laisser entrer l’adversaire si loin chez nous, ça ne peut être qu’un piège ! » On rencontrait même dans les cercles gouvernementaux cette foi naïve en des armes miracles gardées en réserve jusqu’au dernier moment pour mieux anéantir l’ennemi progressant avec insouciance dans le pays. Funk, par exemple, me posa à cette époque-là la question suivante : « On a bien une arme spéciale, n’est-ce pas ? Une arme qui retournera la situation ? »
Je commençai dans la nuit même mes entretiens avec le chef de l’état-major de la Ruhr, le D r Rohland, et ses collaborateurs les plus importants. Leur rapport était effrayant. Les trois Gauleiter de la Ruhr étaient décidés à exécuter l’ordre de Hitler. Hörner, un de nos techniciens, en même temps malheureusement chef du service technique du parti, avait préparé sur l’ordre des Gauleiter un plan de destruction. Tout en regrettant d’avoir dû le faire, mais l’ayant fait parce qu’habitué à obéir, il m’exposa en détail son plan qui, techniquement efficace, devait mettre l’industrie de la Ruhr hors de course pour un temps indéterminé : même les puits de mines devaient être inondés et les installations d’extraction
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