Au Coeur Du Troisième Reich
m’annonça même que les représentants du parti et des usines se tenaient déjà dans l’autre pièce à attendre ses ordres. Le plan était fort bien conçu : on devait incendier les bains d’huile des machines spéciales, pour faire de ces machines, comme l’avaient montré les attaques aériennes, de la ferraille inutilisable. Il me fut tout d’abord impossible de le convaincre que de telles destructions n’avaient aucun sens. Il me demanda au contraire quand le Führer allait sortir son arme miracle, car, affirmait-il, il avait su par Bormann et Goebbels, qui le tenaient eux-mêmes du grand quartier général, que sa mise en service était imminente. Comme si souvent, je dus lui expliquer à lui aussi qu’il n’y avait pas d’arme secrète. Je savais que ce Gauleiter appartenait au groupe des dirigeants raisonnables. Aussi l’exhortai-je à ne pas exécuter les ordres de Hitler concernant la destruction de toute activité industrielle. Je lui remontrai que, vu la situation, il était insensé d’enlever, en faisant sauter les installations industrielles et les ponts, tout moyen d’existence à la population.
Je l’avertis que nos troupes se regroupaient à l’est de Schweinfurt, avant de contre-attaquer pour reprendre le centre de notre industrie d’armement. Ce n’était même pas un mensonge, car le haut commandement prévoyait en effet de lancer bientôt une contre-attaque. Le vieil argument, toujours efficace, selon lequel Hitler ne pourrait pas continuer la guerre sans roulements à billes finit par produire son effet. Le Gauleiter, convaincu ou non, n’était pas prêt à endosser devant l’histoire l’anéantissement de nos chances de victoire en détruisant les usines de Schweinfurt.
Après Würzburg, le temps se leva. Nous rencontrâmes quelques petites unités sans armes lourdes, montant, au pas, à la rencontre de l’ennemi. Mais elles étaient rares. C’étaient des unités qu’on retirait de l’instructionpour les engager dans la dernière offensive. Les habitants des villages étaient occupés à creuser des trous dans leur jardin pour y enfouir leur argenterie de famille et leurs objets de valeur. Partout, nous rencontrâmes le même accueil amical de la population, bien qu’assurément elle ne nous vît jamais d’un bon œil nous abriter entre les maisons quand arrivaient des avions volant en rase-mottes, car nous mettions alors en péril les maisons elles-mêmes. « Monsieur le ministre, nous criait-on des fenêtres, vous ne pourriez pas avancer un peu, jusque chez le voisin là-bas ? »
C’est précisément parce que la population montrait cette paisible résignation et qu’aucune unité bien armée ne se manifestait nulle part, que l’idée de faire sauter un si grand nombre de ponts m’apparaissait encore plus aberrante qu’à mon bureau de Berlin.
En Thuringe, on voyait, dans leurs uniformes des formations du parti, surtout de la SA, parcourir sans but les rues des villes et des villages. La « levée en masse », proclamée par Sauckel avait commencé ; la plupart du temps, il s’agissait d’hommes déjà âgés ou d’enfants de seize ans. C’étaient eux qui devaient former le Volkssturm , la milice populaire qui s’opposerait à l’ennemi ; mais plus personne ne pouvait leur donner des armes. Quelques jours plus tard, Sauckel fit une proclamation enflammée, dans laquelle il les exhortait à mourir jusqu’au dernier, sur quoi il se mit en route pour l’Allemagne du Sud. Tard dans la soirée du 27 mars, j’arrivai à Berlin. J’y trouvai une situation profondément modifiée.
Entre-temps, en effet, Hitler avait décrété que la compétence du Gruppenführer SS Kammler, qui avait déjà la responsabilité des fusées, s’étendrait également à la mise au point et à la production de tous les avions modernes. Cette décision ne me retirait pas seulement la responsabilité de l’armement de la Luftwaffe, mais créait une situation impossible, tant sur le plan du protocole que de l’organisation, puisque Kammler pouvait utiliser les collaborateurs de mon ministère. Hitler avait en outre donné l’ordre exprès que Göring et moi-même reconnaissions par une contre-signature notre subordination au pouvoir de décision de Kammler. Je signai sans élever de protestation. Bien que cette humiliation m’eût blessé et rendu furieux, j’évitai ce jour-là d’aller à la conférence d’état-major. Presque en même temps,
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