Au Coeur Du Troisième Reich
qu’elles ne s’étaient pas beaucoup montrées dans le territoire que j’avais traversé ou qu’alors il ne s’était agi que de soldats sans armement lourd, simplement équipés de fusils.
Chez moi aussi avait lieu maintenant une petite conférence d’état-major quotidienne ; mon officier de liaison auprès de l’état-major général nous communiquait alors les dernières nouvelles, enfreignant d’ailleurs un ordre de Hitler qui interdisait d’informer des non-militaires de la situation militaire. Avec une assez grande précision, von Poser nous indiquait jour après jour quel territoire l’ennemi occuperait dans les vingt-quatre heures à venir. Ces informations objectives n’avaient rien à voir avec les conférences nébuleuses tenues dans lebunker de la Chancellerie. Là-bas, on ne parlait jamais d’évacuation ou de retraites. Il m’a semblé à l’époque que l’état-major général, sous les ordres de Krebs, avait renoncé à informer Hitler de la situation objective : on ne s’occupait plus, en quelque sorte, qu’à résoudre des problèmes de tactique et de stratégie. Ainsi, quand, contrairement aux conclusions de la veille, des villes et des régions étaient tombées, Hitler gardait un calme parfait. Il ne rabrouait plus comme il le faisait encore quelques semaines auparavant ses collaborateurs. Il semblait s’être résigné.
Un jour, au début avril, Hitler avait convoqué Kesselring, le commandant en chef du front Ouest. Le hasard voulut que je fusse présent et assistasse à cet entretien loufoque. Kesselring essaya d’expliquer en détail à Hitler que la situation était sans issue. Mais, après l’avoir laissé dire quelques phrases, Hitler, tirant la conversation à lui, se mit à disserter sur la façon dont, prenant avec quelques centaines de chars les Américains à revers, il anéantirait leur saillant d’Eisenach, provoquerait une panique colossale et bouterait l’envahisseur hors d’Allemagne. Hitler se perdit en longs développements sur l’incapacité notoire des soldats américains à digérer une défaite, alors qu’il venait quelques semaines plus tôt, au cours de la contre-offensive des Ardennes, de faire l’expérience du contraire. A cette époque-là, j’étais furieux de voir le Feldmarschall Kesselring donner, après une brève résistance, dans ces billevesées et entrer dans les plans de Hitler avec le plus grand sérieux, semblait-il. Mais, de toute façon, cela ne servait à rien de s’exciter sur des batailles qui n’auraient plus lieu.
Au cours d’une des conférences qui suivirent celle-ci, Hitler exposa à nouveau son idée d’une contre-attaque par le flanc. De mon ton le plus sec, je glissai : « Si tout est détruit, la reconquête de ces territoires ne me sert plus à rien. Je ne peux plus rien y produire. » Hitler garda le silence. « Je ne peux pas rebâtir des ponts aussi vite. » Hitler, apparemment de bonne humeur, me répondit alors : « Tranquillisez-vous, monsieur Speer, il n’y a pas eu autant de ponts détruits que j’en ai donné l’ordre. » Sur le même ton, je rétorquai comme en plaisantant qu’il me semblait bizarre de se réjouir de ce qu’un ordre n’ait pas été exécuté. A ma grande surprise, Hitler se montra alors disposé à examiner un décret que j’avais préparé.
Quand je lui en montrai le brouillon, Keitel en perdit contenance pour un instant. « Pourquoi encore un changement ? On a pourtant le décret de destruction… On ne peut pas faire de guerre sans détruire de ponts ! » Il finit cependant par donner son accord à mon texte, y apportant seulement quelques changements. Hitler signa donc un décret qui prévoyait qu’on ne devait plus que paralyser les moyens de communication et de transmission et qu’on devait conserver les ouvrages d’art intacts jusqu’au dernier moment. Je fis confirmer encore une fois à Hitler, trois semaines avant la fin, dans la phrase de conclusion : « Avant de prendre toute mesure de destruction et d’évacuation, il faut songer que les installations… doivent pouvoir, après la reconquête des territoires perdus, être à nouveau exploitées au profit de la production allemande 15 . » Toutefois il raya au crayon bleu une subordonnée, où il était dit qu’on devait retarder la destruction d’un pont « même au risque de le voir tomber intact aux mains de l’ennemi dans le cas d’une avance plus rapide que prévu de
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