Au Coeur Du Troisième Reich
territoires abandonnés un désert où tous les moyens de transport seront anéantis… La raréfaction des explosifs exige qu’on fasse preuve d’invention dans l’utilisation de toutes les possibilités de destruction, les effets devant être durables. » Devaient être détruits, comme le précisait en détail l’ordonnance, les ponts de toutes sortes, les voies ferrées, les postes d’aiguillage, toutes les installations techniques dans les gares de triage, les ateliers et les bâtiments d’exploitation, les écluses et les élévateurs des voies navigables. Dans le même temps, toutes les locomotives, tous les wagons de voyageurs et de marchandises, tous les chalands et toutes les péniches devaient être totalement détruits, les fleuves et les canaux barrés à l’aide de bateaux sabordés. Pour atteindre cet objectif, on pouvait mettre le feu, démolir les organes essentiels et employer toutes espèces de munitions. Seul un spécialiste peut mesurer l’ampleur de la catastrophe qui aurait frappé l’Allemagne si cet ordre si minutieusement élaboré avait été exécuté. Cette ordonnance est en même temps un document qui montre combien on était vétilleux quand il s’agissait d’appliquer un ordre de Hitler établissant un principe.
Dans mon petit appartement de fortune situé dans l’aile arrière du ministère, je m’allongeai sur mon lit. Assez épuisé, je réfléchis, sans véritable suite dans les idées, à la réponse que je devais donner à l’ultimatum de Hitler. Je finis par me lever et me mettre à rédiger une lettre. Le début de mon texte n’était pas sans équivoque : je voulais persuader Hitler et me montrer conciliant, sans pour autant tourner le dos à cette vérité de la défaite qui s’imposait de plus en plus. Mais la suite était claire et directe : « Quand j’ai lu l’ordre de destruction (du 19 mars 1945) et, peu après, l’ordre d’évacuation, aux termes très durs, j’y ai vu les premiers pas dans l’exécution de ces desseins. » Je rattachai à cette phrase ma réponse à son ultimatum. « Mais je ne peux plus croire au succès de notre bonne cause si, en ces mois décisifs, nous détruisons systématiquement et simultanément tout ce qui conditionne la vie de notre peuple. C’est commettre à son égard une si grande injustice que le destin ne pourra plus nous être favorable… C’est pourquoi je vous prie instamment de ne pas porter vous-même atteinte à la vie de notre peuple. Si vous pouviez vous décider à y renoncer, de quelque manière que vous le fassiez, je retrouverais la foi et le courage de continuer à travailler avec la plus grande énergie. Il n’est plus en notre pouvoir, écrivis-je, en réponse directe à son ultimatum, de déterminer le cours de notre destin. Seule la Providence peut encore changer notre avenir. Nous ne pouvons y contribuer qu’en gardant une attitude ferme et une foi inébranlable en l’avenir éternel de notre peuple. » Je ne conclus pas, comme on le faisait d’habitude pour des lettres privées, par un « Heil, mon Führer », mais renvoyai à la seule puissance en qui nous pouvions encore mettre notre espoir : « Que Dieu protège l’Allemagne 9 ! » En relisant cette lettre, je la trouvai bien faible. Peut-être Hitler présuma-t-il qu’elle annonçait une rébellion, attitude qui l’aurait forcé à prendre des mesures contre moi. Car, quand je priai une de ses secrétaires de taper sur sa machine spéciale à gros caractères cette lettre écrite à la main, qui était destinée à Hitler personnellement mais parfaitement illisible, elle me rappela au téléphone pour me déclarer : « Le Führer m’a interdit d’accepter une lettre de vous. Il veut vous voir ici et exige une réponse de vive voix. » Peu après, je reçus l’ordre de me rendre chez Hitler sans tarder.
Vers minuit, je franchis les quelques centaines de mètres qui me séparaient de la Chancellerie, en empruntant en voiture la Wilhelmstrasse, maintenant totalement défoncée par les bombes. Je ne savais toujours pas ce que je devrais faire, ou dire. Les vingt-quatre heures étaient passées et je n’avais toujours pas de réponse prête. Je laissai à l’inspiration du moment le soin de me la dicter.
Hitler était là debout devant moi, peu sûr de son fait, donnant presque l’impression d’avoir peur. Il me lança un bref « Alors ? » Je fus un instant décontenancé, n’ayant préparé
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