Au Coeur Du Troisième Reich
précipita sur moi avec une vivacité inhabituelle chez lui, une coupure de journal à la main. « Regardez, lisez ceci ! Là ! Vous ne vouliez jamais le croire. Là ! » Il en bafouillait. « Le grand miracle, celui que j’avais toujours prédit, est arrivé. Qui a raison maintenant ? La guerre n’est pas perdue. Lisez. Roosevelt est mort ! » Il n’arrivait pas à se calmer. Il croyait enfin tenir la preuve de l’infaillibilité de la Providence qui le protégeait. Débordant de joie, Goebbels et un grand nombre des personnes présentes lui assuraient qu’ils voyaient là la confirmation qu’il avait eu raison en ne cessant de réaffirmer sa conviction qu’un miracle se produirait : le miracle qui, au dernier moment, avait sauvé Frédéric le Grand et fait d’un vaincu sans rémission un vainqueur, venait de se reproduire. Le miracle de la maison de Brandebourg ! La tsarine venait de mourir une deuxième fois, l’histoire connaissait un nouveau tournant, ne cessait de répéter Goebbels. Cette scène déchira un moment le voile qui avait, ces derniers mois, recouvert l’optimisme de commande de tous ces gens-là. Hitler, lui, avait fini par s’asseoir dans un fauteuil, épuisé, comme libéré et en même temps abasourdi ; il avait pourtant l’air de quelqu’un qui n’a plus d’espoir.
Quelques jours plus tard, Goebbels, donnant suite à une de ces innombrables élucubrations qui fleurirent à l’annonce de la mort de Roosevelt, me fit dire que, comme j’avais un grand crédit dans les démocraties bourgeoises occidentales, il serait peut-être bon de se demander si je ne devais pas monter dans un avion à long rayon d’action pour aller trouver le président Truman. Mais de telles idées s’évanouissaient aussi vite qu’elles étaient apparues.
Toujours en ces derniers jours d’avril, je tombai, dans l’ancien salon de Bismarck, sur un groupe formé de Bormann, de Schaub, d’aides de camp et de domestiques. Pêle-mêle, ils entouraient le D r Ley qui se précipita sur moi en lançant : « Les rayons de la mort, on a trouvé les rayons de la mort ! C’est un appareil très simple que nous pourrons produire en grande quantité. J’en ai examiné le principe, il n’y a aucun doute. Voilà qui va faire pencher la balance en notre faveur ! » Encouragé par les petits signes de tête approbateurs de Bormann, Ley, bégayant comme à son habitude, m’accabla alors de reproches. « Naturellement, dans votre ministère, on a éconduit cet inventeur. La chance a voulu qu’il m’écrivît. Mais maintenant il faut que vous preniez personnellement l’affaire en main. Immédiatement… Il n’y a rien de plus important en ce moment ! » S’échauffant, Ley me représenta l’incompétence de mon organisation, qu’il accusa de sclérose bureaucratique. Tout cela était si absurde que je ne le contredis même pas. « Vous avez pleinement raison ! Vous ne voulez pas vous en occuper vous-même ? Je vous accorde volontiers les pleins pouvoirs et vous nomme "délégué aux rayons de la mort". » Cette proposition enthousiasma Ley. « Mais bien sûr. Je m’en charge. Dans cette affaire, je veux bien même être placé sous vos ordres. Car enfin, je suis chimiste de formation. » Je lui suggérai d’organiser une expérience, lui recommandant de prendre ses propres cobayes, car, dans ces affaires-là, on n’est que trop souvent trompé par des animaux préparés. Quelques jours plus tard, un de ses aides de camp m’appela d’un coin perdu d’Allemagne, pour me communiquer une liste d’appareils électriques dont ils auraient besoin pour les expériences.
Nous décidâmes de continuer à jouer la comédie. Nous mîmes notre ami Lüschen, le chef de toute notre industrie électrique, dans la confidence, le priant de nous procurer les appareils réclamés par l’inventeur. « J’ai pu, nous déclara-t-il en revenant quelque temps après, tout trouver sauf le disjoncteur. Il n’en existe pas qui ait la vitesse de disjonction requise. Or votre « inventeur » insistant pour qu’il ait précisément cette vitesse, savez-vous ce que j’ai alors découvert ? On ne construit plus de tels disjoncteurs depuis quarante ans. Le Grætz (manuel de physique pour les collèges) le mentionne dans son édition de 1900. »
Les épisodes de ce genre se multiplièrent à l’approche de l’ennemi. Très sérieusement, Ley soutenait, à cette époque-là, la théorie
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