Au Coeur Du Troisième Reich
à la Bastille, oubliant totalement qu’elle avait été rasée depuis longtemps. Cependant l’inquiétude gagna le sous-lieutenant qui se mit à comparer les noms de rues : il s’était manifestement trompé de direction, ce qui me soulagea grandement. Bafouillant quelques phrases dans mon anglais scolaire, je m’offris à le piloter dans Paris ; ce n’est pourtant qu’après quelques hésitations qu’il m’indiqua le but de notre voyage : le « Trianon Palace-Hôtel » à Versailles. J’en connaissais fort bien le chemin puisque j’y avais logé quand j’avais construit le pavillon allemand pour l’Exposition universelle de 1937.
Voitures de luxe en stationnement et gardes d’honneur en faction devant le portail indiquaient clairement que cet hôtel ne servait pas de camp de prisonniers, mais était utilisé par les états-majors alliés. C’était en fait le quartier général d’Eisenhower. Le sous-lieutenant disparut à l’intérieur, me laissant contempler en toute tranquillité le spectacle des allées et venues des voitures des généraux de haut rang. Après une longue attente, nous repartîmes, guidés par un sergent ; une allée bordée de prairies nous amena jusqu’à un petit château dont le portail s’ouvrit pour nous laisser entrer.
C’est ici, au Chesnay, que j’allais séjourner plusieurs semaines durant. J’atterris dans une petite chambre au deuxième étage, donnant sur l’arrière-cour, meublée à la Spartiate d’un lit de camp et d’une chaise, et dont la fenêtre était solidement barricadée à l’aide de fils de fer barbelés. Une sentinelle armée prit sa faction devant la porte.
Le lendemain, je pus admirer la façade de notre château. Entouré de vieux arbres, il s’élevait au milieu d’un parc ceint d’un haut mur par-dessus lequel on pouvait apercevoir les jardins du château de Versailles. De belles sculptures du XVIII e siècle y créaient une atmosphère d’idylle. J’avais le droit à une demi-heure de promenade, suivi d’un soldat armé d’une mitraillette. Il nous était interdit d’établir des contacts, mais au bout de quelques jours je savais pas mal de choses sur les prisonniers du château. C’étaient presque exclusivement des techniciens et des savants importants, des spécialistes de l’agriculture ou des chemins de fer. Le vieux Dorpmüller, l’ancien ministre, était là aussi. Je reconnus le professeur Heinkel, le constructeur d’avions, accompagné de l’un de ses collaborateurs, et bien d’autres avec qui j’avais travaillé. Une semaine après mon arrivée, mon gardien ayant été retiré, je pus aller et venir librement au cours de mes promenades. La monotone période de solitude prit ainsi fin et psychiquement je m’en trouvai beaucoup mieux. On enregistra de nouvelles arrivées : différents collaborateurs de mon administration, parmi lesquels Saur et Frank, des officiers anglais et américains qui désiraient approfondir leurs connaissances. Nous étions convenus de mettre à leur disposition notre expérience dans le domaine de l’armement.
Pour ma part, je ne pouvais guère me rendre utile, car c’est Saur qui possédait le plus de connaissances techniques. Aussi fus-je très reconnaissant au commandant du camp, un commandant de parachutistes anglais, de me tirer de cet ennui profond en m’invitant à faire une promenade en auto.
Longeant les parcs et les jardins de nombreux petits châteaux, nous nous dirigeâmes d’abord vers Saint-Germain, cette belle réalisation de François I er , et de là, en remontant la Seine, vers Paris. Après être passés devant le Coq Hardi, ce célèbre restaurant de Bougival où j’avais vécu de si agréables soirées en compagnie de Cortot, Vlaminck, Despiau, et autres artistes français, nous atteignîmes les Champs-Élysées. Là le commandant me proposa de descendre de voiture pour flâner un peu. Mais dans son intérêt je repoussai cette proposition, car il pouvait très bien arriver qu’on me reconnût. Aussi continuâmes-nous jusqu’à la place de la Concorde où nous tournâmes pour prendre les quais. Comme il y avait moins de monde, nous nous risquâmes à faire un petit tour à pied avant de retourner au camp par Saint-Cloud.
Quelques jours plus tard, un gros autobus s’arrêta dans la cour du château. Il en descendit une sorte de groupe de touristes qu’on logea chez nous. Parmi eux se trouvaient Schacht et l’ancien chef du Bureau chargé de
Weitere Kostenlose Bücher