Au Coeur Du Troisième Reich
que ce n’était plus nous qui, comme nous l’avions fait durant tant d’années, indiquions où nous voulions aller. Seuls deux de ces voyages eurent des buts très clairement définis : celui qui m’amena à Nuremberg et celui qui m’amena à Spandau.
Nous survolâmes des côtes, puis la mer du Nord, pendant un long moment. Londres alors ? L’avion tourna vers le sud. D’après le paysage et l’habitat, nous étions en train de survoler la France. On distingua bientôt une grande ville. Reims, affirmèrent d’aucuns. Mais c’était Luxembourg. L’appareil atterrit. Dehors nous attendait un double cordon de soldats américains braquant chacun une mitraillette sur l’étroit couloir qu’ils avaient formé pour nous laisser passer. Je n’avais jamais vu une telle réception, sinon dans les films policiers, quand, à la fin, on emmène la bande de gangsters. Entassés à nouveau dans des camions des plus primitifs, sur deux bancs de bois entre des soldats braquant sans cesse sur nous leurs mitraillettes, nous traversâmes plusieurs localités, où les habitants rassemblés sur notre chemin nous huèrent et nous crièrent des injures inintelligibles. La première étape de ma captivité avait commencé.
Nous fîmes halte devant un grand bâtiment, le Palace Hôtel de Mondorf ; puis on nous conduisit dans le hall de réception. Dehors, à travers les portes vitrées, on pouvait voir Göring et d’autres anciennes personnalités de premier plan du III e Reich faire les cent pas. Il y avait là des ministres, des Feldmarschälle, des Reichsleiter du parti, des secrétaires d’État et des généraux. C’était un spectacle hallucinant de voir toutes ces personnes qui s’étaient, à la fin, dispersées comme fétus au vent, rassemblées à nouveau ici. Je restai à l’écart, m’emplissant autant que possible du calme de ce lieu. Je ne sortis qu’une fois de ma réserve pour demander à Kesselring pourquoi il avait continué, alors que la liaison avec Hitler était interrompue, à faire sauter des ponts. Avec une raideur intellectuelle toute militaire, il me répondit qu’on devait faire sauter des ponts tant que les combats continuaient ; que lui, en tant que commandant en chef, ne se souciait de rien d’autre que de la sécurité de ses soldats. Des différends ne tardèrent pas à éclater pour des questions de hiérarchie. Göring était resté de longues années le successeur désigné par Hitler, Dönitz, lui, avait été nommé chef de l’État au dernier moment ; mais Göring, avec son grade de Reichsmarschall, était l’officier présent ayant le plus haut rang. A voix basse, le nouveau chef de l’État et le successeur déchu se querellèrent pour savoir qui aurait la préséance dans ce palace désaffecté de Mondorf, qui présiderait la table principale dans la salle à manger et qui dirigerait sans partage notre assemblée. Ils ne purent tomber d’accord. Les deux parties évitèrent bientôt de se rencontrer devant une porte. A la salle à manger, chacun d’eux présidait une table différente. C’est surtout Göring qui demeura toujours conscient de son rang particulier. Le D r Brandt ayant évoqué une fois en passant tout ce qu’il avait perdu, Göring l’interrompit : « Ah non, que racontez-vous là ? Vous n’avez aucune raison de vous plaindre. Que possédiez-vous donc ? Mais moi, moi qui avais tant de choses ! »
Quinze jours à peine après notre arrivée, on m’annonça qu’on allait m’emmener ailleurs. A partir de ce moment-là, les Américains me traitèrent avec un imperceptible respect. Nombre de mes codétenus interprétèrent ce transfert avec un excès d’optimisme, pensant qu’on allait me charger de la reconstruction de l’Allemagne. Ils ne s’étaient pas encore habitués à l’idée que tout pouvait très bien aller sans nous. Chargé de transmettre le bonjour aux parents et amis, je quittai le Palace devant l’entrée duquel m’attendait cette fois, non plus un camion, mais une limousine, non plus un policier militaire armé d’une mitraillette, mais un sous-lieutenant qui m’accueillit d’un salut aimable. Prenant la direction de l’ouest, nous dépassâmes Reims pour arriver à Paris.Dans le centre de la ville, le sous-lieutenant stoppa devant un bâtiment administratif dont il ressortit peu après. Muni d’une carte et de nouveaux ordres, il nous fit remonter la Seine. Dans mon désarroi, je crus que nous nous rendions
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