Au Coeur Du Troisième Reich
promenaient sur les routes. Des chars lourds stationnaient dans les localités, leurs canons protégés par des housses de toile. J’arrivai ainsi devant le perron de la maison de maître du domaine où logeait ma famille. Nous nous réjouîmes tous de ce bon tour joué aux Anglais. Je le réussis même plusieurs fois. Mais peut-être avais-je trop présumé de leur insouciance. Le 21 mai, on m’emmena dans ma voiture à Flensbourg, au Secret Service, où l’on m’enferma dans une pièce que gardait un soldat, le pistolet mitrailleur sur les genoux. Au bout de quelques heures, on me relâcha. Mon auto avait disparu et les Anglais me raccompagnèrent à Glucksbourg dans leur voiture.
Deux jours après, aux premières heures de la matinée, mon aide de camp fit irruption dans ma chambre à coucher. Les Anglais avaient encerclé Glucksbourg. Un sergent, pénétrant dans ma chambre, déclara que j’étais prisonnier. Défaisant son étui à pistolet, il le déposa comme par inadvertance sur ma table et quitta la pièce pour me donner le temps de faire mes bagages. On m’emmena bientôt après à Flensbourg en camion. Je pus voir qu’un grand nombre de canons antichars avaient pris position tout autour du château de Glucksbourg. Ils me croyaient bien plus puissant que je ne l’étais. A la même heure, à l’école navale, on amena l’étendard du Reich qu’on avait jusqu’alors hissé tous les jours. S’il y avait un signe qui pouvait montrer que, malgré tous ses efforts, le gouvernement de Dönitz n’annonçait pas le renouveau attendu, c’était bien cet attachement obstiné à l’ancien étendard. Au début de cette période flensbourgeoise, nous étions convenus, Dönitz et moi, qu’il fallait garder cet étendard. Le renouveau, trouvai-je, ne nous allait pas. Flensbourg n’était que la dernière étape du « III e Reich », rien d’autre ni de plus.
Cette chute du haut de ma puissance, qu’auraient peut-être, dans des circonstances normales, accompagnée de graves crises, me vit à mon grand étonnement réagir avec la plus grande impassibilité. De même, je m’accommodai vite des conditions de la captivité, ce que pouvait expliquer la longue école de douze ans desubordination. Car, au fond de ma conscience, j’étais, déjà dans l’État hitlérien, un prisonnier. Désormais, libéré de la responsabilité de devoir prendre quotidiennement des décisions, je ressentis les premiers mois un besoin de dormir, comme je n’en avais jamais éprouvé. Un certain assoupissement intellectuel s’empara également de moi, mais je m’efforçai de n’en rien laisser paraître à l’extérieur.
A Flensbourg, nous nous retrouvâmes, tous les membres du gouvernement Dönitz, dans une pièce qui ressemblait à une salle d’attente. Nous étions tous là sur des bancs, le long des murs, au milieu des valises contenant nos affaires. Nous devions offrir le même spectacle que des émigrants attendant un bateau. L’atmosphère était sombre. On nous appelait un par un dans la salle à côté pour nous porter sur le registre des prisonniers. Selon leur caractère, les nouveaux arrivants revenaient de ces formalités l’air maussade, vexé ou déprimé. Lorsque ce fut mon tour, je fus saisi de dégoût quand je dus me soumettre au pénible examen corporel. C’était vraisemblablement là la conséquence du suicide de Himmler, qui avait gardé dans sa bouche une capsule contenant du poison.
On nous conduisit, Dönitz, Jodl et moi-même, dans une petite cour. Tandis qu’aux fenêtres du premier étage on braquait sur nous des fusils mitrailleurs, des photographes de presse et des cameramen opéraient. J’essayai pour mon compte de faire comme si cette mise en scène théâtrale montée pour les actualités ne me concernait en rien. Là-dessus, on nous entassa avec nos autres compagnons d’infortune, restés dans la salle d’attente, dans quelques camions. A ce que je pus voir dans les virages, un convoi d’une trentaine ou d’une quarantaine de voitures blindées, le plus gros que j’aie jamais eu, moi qui me déplaçais toujours sans escorte dans ma voiture personnelle, nous précédait et nous suivait. Arrivés à un aérodrome, nous prîmes place dans deux avions-cargos bimoteurs. Assis sur des caisses et des valises, nous devions sans aucun doute faire très « prisonniers ». Nous ne connaissions pas le but du voyage. Il nous fallut un certain temps pour nous habituer au fait
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