Au Coeur Du Troisième Reich
l’armement à l’O.K.W., le général Thomas. Il s’agissait de personnalité détenues dans des camps de concentration allemands, libérées par les Américains dans le Tyrol du Sud, transférées ensuite à Capri et transitant maintenant par notre camp. On racontait que Niemöller était là aussi. Ne le connaissant pas, nous avisâmes parmi les nouveaux arrivants un homme affaibli aux cheveux blancs et portant un costume noir. C’était Niemöller, décidâmes-nous d’un commun accord, Heinkel, l’ingénieur Flettner et moi-même. Nous ressentîmes une grande pitié pour cet homme si visiblement marqué par des années de détention en camp de concentration. Flettner entreprit d’aller exprimer toute notre sympathie à cet homme brisé, mais à peine avait-il commencé son discours que l’autre l’interrompit : « Thyssen ! Je m’appelle Thyssen ! Niemöller, le voilà là-bas ! » C’était donc lui, cet homme à l’air concentré et juvénile qui fumait la pipe, vivant exemple de la façon dont on peut surmonter les années de détresse passées en prison. J’ai souvent pensé à lui plus tard. Quelques jours après, le bus s’arrêta à nouveau devant le château. Seuls Thyssen et Schacht restèrent en notre compagnie.
Quand Eisenhower transféra son quartier général à Francfort, un convoi d’environ dix camions de l’armée américaine s’arrêta devant notre porte. D’après un plan soigneusement établi, on nous répartit en deux camions découverts munis de bancs de bois. Les autres camions transportaient le mobilier. Pendant la traversée de Paris, à chaque arrêt de la circulation, une foule se massait autour de nous pour nous lancer insultes et menaces. Maisau cours de la halte de midi, à l’est de Paris, nous nous installâmes dans une prairie, prisonniers et gardiens mélangés, offrant là un spectacle fort paisible. Le but de cette première journée devait être Heidelberg. Je fus heureux que nous n’ayons pas pu l’atteindre, car je ne voulais pas loger dans la prison de ma ville natale.
Le lendemain, nous arrivâmes à Mannheim. On aurait dit une ville morte, avec ses rues désertes et ses maisons détruites. Un malheureux troupier complètement perdu, la barbe dure, l’uniforme en loques, une boîte de carton sur le dos, restait là hésitant, hébété, sur le bord de la route : illustration saisissante de la défaite.
Après avoir quitté l’autoroute à la hauteur de Nauheim, nous escaladâmes un chemin escarpé pour arriver dans la cour du château de Kransberg. J’avais agrandi cet imposant château féodal durant l’hiver 1939 pour en faire le quartier général de Göring, distant de cinq kilomètres du centre de commandement de Hitler. J’avais alors fait ajouter, pour loger la très nombreuse domesticité de Göring, une aile de deux étages. C’est dans cette construction qu’on nous logea.
Dans ce camp, il n’y avait pas, contrairement au camp de Versailles, de fils de fer barbelés, même les fenêtres du premier étage de notre aile laissaient la vue libre, et le portail en fer forgé, que j’avais jadis dessiné, n’était jamais fermé. Nous pouvions aller et venir librement dans le domaine du château. Au-dessus de celui-ci, j’avais, cinq ans auparavant, aménagé un verger entouré d’un mur d’environ un mètre de haut. C’est là que nous nous étendions, le regard perdu sur les forêts du Taunus ; en bas, le petit village de Kransberg fumait de toutes ses cheminées.
En comparaison de nos compatriotes libres et affamés, nous n’avions vraiment pas à nous plaindre, car nous touchions les rations de la troupe américaine. Pourtant, dans la population du village, le camp jouissait d’une mauvaise réputation. On se racontait que nous étions maltraités, que nous n’avions rien à manger, et le bruit courait même que Leni Riefenstahl languissait dans le cachot de la tour. En fait, on nous avait conduits à ce château pour nous poser des questions sur l’aspect technique de la conduite de la guerre. De nombreux experts nous avaient rejoints, entre autres presque toute la direction de mon ministère, les directeurs généraux, les hommes qui avaient dirigé la production de munitions, de chars, d’autos, de bateaux, d’avions et de textiles. Il y avait aussi les sommités de la chimie et des constructeurs, comme le professeur Porsche. Or rares étaient les techniciens alliés qui s’égaraient jusqu’à nous. Les
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