Au Coeur Du Troisième Reich
déposition dans son plaidoyer 8 .
Je repris ensuite le texte de ma déposition, grâce auquel je me sentais plus assuré, et poursuivis sans autre interruption mes déclarations concernant la dernière phase de la guerre. Pour ne pas donner l’impression que je voulais faire ressortir mes mérites, j’apportai volontairement cette restriction : « Ces initiatives n’étaient pas tellement dangereuses. A partir du mois de janvier 1945, on pouvait, en Allemagne, opposer à la politique officielle n’importe quelle mesure de bon sens ; tout homme raisonnable l’approuvait volontiers. Chacun des hommes concernés savait ce que nos contrordres signifiaient. Même de vieux militants du parti ont, à ce moment-là, accompli leur devoir envers le peuple. Ensemble, nous avons pu entreprendre beaucoup pour contrecarrer les ordres insensés de Hitler. »
Ayant refermé son dossier avec un soulagement visible, Flächsner retourna s’asseoir aux côtés des autres avocats et le procureur principal pour les États-Unis, Jackson, membre de la Cour suprême des U.S.A., vint prendre sa place. Cela ne me surprit pas, car la veille au soir, un officier américain avait fait irruption dans ma cellule pour me communiquer que Jackson avait décidé de diriger, dans mon cas aussi, le contre-interrogatoire. Il commença, contrairement à son habitude, d’une voix calme, presque bienveillante. Après avoir montré, en me posant des questions et en produisant des documents, ma coresponsabilité dans l’emploi de millions d’ouvriers pour le travail obligatoire, il appuya la deuxième partie de ma déposition, affirmant que j’avais été le seul à avoir eu le courage de dire en face à Hitler que la guerre était perdue. Je lui indiquai, comme le voulait la vérité, que Guderian, Jodl et d’autres commandants en chef des groupes d’armées s’étaient également ouvertement opposés à Hitler. Quand il me demanda : « Y a-t-il eu d’autres complots que ceux dont vous nous avez parlé ? » je répondis de façon évasive : « A cette époque-là, il était extraordinairement simple de fomenter un complot. On pouvait s’adresser presque à n’importe quel passant dans la rue. Quand on lui décrivait la situation, il vous répondait : « C’est de la pure folie. » Et s’il avait du courage, il se proposait immédiatement… Ce n’était pas aussi dangereux qu’il y paraît maintenant, car il y avait peut-être quelques douzaines d’insensés ; les autres, 80 millions, se montraient très sensés dès qu’ils savaient de quoi il retournait 9 . »
Après un autre contre-interrogatoire avec le représentant du ministère public soviétique, le général Raginsky, où abondèrent les malentendus à cause des erreurs de traduction, Flächsner vint à nouveau à la barre donner au tribunal un paquet de déclarations écrites de mes douze témoins ; les débats concernant mon cas étaient terminés. Depuis des heures, de douloureux maux d’estomac me torturaient ; de retour dans ma cellule, je me jetai sur ma couche, terrassé aussi bien par mes douleurs physiques que par mon épuisement intellectuel.
35.
Conclusions
Les accusateurs prirent une dernière fois la parole ; leurs réquisitoires terminaient le procès. Nous, nous n’avions plus qu’à faire une ultime déclaration. Comme cette déclaration finale devait être intégralement retransmise par la radio, elle revêtait une importance particulière : elle constituait la dernière possibilité que nous avions de nous adresser à notre propre peuple et de lui montrer, à ce peuple dupé, une voie pour sortir du dilemme en avouant notre faute et en exposant clairement les crimes du passé 1 . Ces neuf mois de débats nous avaient marqués. Même Göring, qui avait entamé ce procès avec l’intention bien arrêtée de se justifier, parla dans son allocution finale des graves crimes dont on avait eu connaissance et condamna les effroyables massacres qu’il n’arrivait pas à comprendre. Keitel assura qu’il préférerait mourir plutôt que de se laisser impliquer une nouvelle fois dans de tels forfaits. Frank parla de la faute dont s’étaient chargés Hitler et le peuple allemand. Il avertit les incorrigibles de ne pas « prendre le chemin de la folie politique menant nécessairement à la ruine et à la mort ». Certes, son discours rendait un son un peu exalté, mais il exprimait exactement ce que je pensais. Même
Weitere Kostenlose Bücher