Au Coeur Du Troisième Reich
regards froids. La cabine de traduction seule faisait exception. Je pouvais y distinguer parfois un signe de tête amical ; quelques-uns des accusateurs britanniques ou américains aussi laissèrent quelquefois percer comme un peu de compassion. Mais je fus affecté quand j’appris que les journalistes s’étaient mis à parier sur la lourdeur de nos peines et que, parfois, ils pronostiquaient même pour nous une sentence de « mort par pendaison ».
Après une pause de quelques jours, qui servit aux avocats à mettre la dernière main à leur défense, commença la contre-offensive dont certains parmi nous attendaient beaucoup. Avant de monter à la barre des témoins, Göring avait assuré entre autres à Funk et à Sauckel qu’il prendrait toutes les responsabilités sur lui, lesdéchargeant du même coup. Au début de sa déposition, faisant preuve de courage, il tint parole ; mais au fur et à mesure qu’il entrait dans les détails, une déception de plus en plus grande se peignait sur les visages de ceux qui avaient mis leur espoir en lui, car il se remit à limiter sa responsabilité point par point.
Dans leur duel, le procureur Jackson avait l’avantage de pouvoir jouer de l’effet de surprise en tirant certains documents de sa grosse serviette, tandis qu’à son tour Göring s’entendait à exploiter chez son contradicteur sa méconnaissance des matériaux. A la fin, il ne fit plus que lutter pour sa vie en biaisant, camouflant ou ergotant.
Il en alla de même pour les accusés suivants, Ribbentrop et Keitel. Ils donnèrent même encore plus la fâcheuse impression de fuir devant leur responsabilité ; chaque fois qu’on leur présentait un document portant leur signature, ils se retranchaient derrière un ordre reçu de Hitler. Écœuré, je laissai échapper qu’ils n’étaient que « des facteurs à gros traitement », formule que la presse mondiale reprit ensuite. Avec le recul, je trouve aujourd’hui qu’au fond, ils n’avaient pas tort ; ils n’ont effectivement été guère plus que les agents de transmission de Hitler. Rosenberg, en revanche, donna l’impression d’être franc et conséquent. Toutes les tentatives de son avocat, sur le plateau et dans les coulisses, pour lui faire désavouer ce que lui appelait « sa conception du monde » échouèrent. L’avocat de Hitler, plus tard gouverneur général de Pologne, Hans Frank, accepta ses responsabilités ; Funk produisit une argumentation habile qui devait éveiller la compassion, tandis que le défenseur de Schacht s’efforça, avec une enflure rhétorique superfétatoire, de faire de son client un putchiste, ce qui eut plutôt pour conséquence d’affaiblir les éléments à décharge de sa défense. Dönitz, quant à lui, défendit avec acharnement son rôle et ses sous-marins. Il eut d’ailleurs l’immense satisfaction d’entendre son avocat produire une déclaration du commandant en chef de la force américaine du Pacifique, l’amiral Nimitz, dans laquelle celui-ci affirmait qu’il avait utilisé ses sous-marins de la même façon que le commandement allemand. Raeder apparut comme le technicien qu’il était, la simplicité d’esprit de Sauckel fit plutôt pitié, Jodl en imposa par sa défense précise et sans fioritures. Il fut l’un des seuls à sembler dominer la situation.
L’ordre de passage pour les interrogatoires correspondait à l’ordre dans lequel nous étions assis. Ma nervosité augmentait car c’était déjà au tour de Seyss-Inquart, mon voisin immédiat, de se tenir à la barre. Avocat lui-même, il ne se faisait plus d’illusions sur sa situation, car il avait été personnellement à l’origine de déportations et d’exécutions d’otages. Sachant se dominer, il termina sa déposition en déclarant qu’il avait le devoir de répondre de ce qui s’était passé. Un hasard heureux fit que quelques jours après cette audition, qui avait scellé son destin, il reçut les premières nouvelles de son fils jusque-là porté disparu en Russie.
Quand vint mon tour de me présenter à la barre des témoins, j’avais le trac. J’avalai rapidement une pilule calmante, que le médecin allemand avait eu la précaution de me donner. En face de moi, à dix pas de distance, Fläschner se tenait devant le pupitre de la défense, à ma gauche les juges sur une estrade, assis à leur table.
Flächsner ouvrit son gros manuscrit ; questions et réponses commencèrent. Dès le
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