Au Coeur Du Troisième Reich
nous fûmes conduits, chacun de nous accompagné d’un soldat, mais sans menottes, le 19 novembre 1945 pour la première fois dans la salle du tribunal encore vide. On procéda à la répartition des places. Göring, Hess et Ribbentrop en premier ; moi, je me trouvai le troisième avant la fin, sur le deuxième banc, en agréable compagnie : à ma droite, Seyss-Inquart, à ma gauche, von Neurath, tandis que Streicher et Funk avaient pris place juste devant moi.
Je me réjouissais que le procès commençât et presque chacun des accusés exprima la même opinion : en finir une bonne fois pour toutes !
Le procès débuta par le long réquisitoire écrasant du procureur principal américain, Robert H. Jackson. Une phrase de ce discours me redonna pourtant courage. Il y était dit que la responsabilité des crimes du régime incombait aux vingt et un accusés et non au peuple allemand. Cette conception répondait exactement à un des espoirs que je mettais en ce procès : la haine que la propagande avait, pendant les années de guerre, déchaînée contre le peuple allemand, et qui ne devait plus connaître de mesures à la révélation de tous les crimes, se reporterait désormais sur nous, les accusés. Selon ma théorie, on pouvait attendre des principaux dirigeants d’une guerre moderne qu’à son dénouement, ils se soumettent aux conséquences pour la raison précise que jusqu’alors ils n’avaient couru aucun danger 3 . C’est pourquoi dans une lettre à mon défenseur, où je définissais notre ligne de conduite, j’exprimais le sentiment que tout ce que nous dirions pour ma défense me paraîtrait insignifiant et ridicule, replacé dans le cadre général.
De nombreux mois durant, aggravant le poids des crimes commis, documents et témoignages s’accumulèrent sans qu’on se préoccupât de savoir s’ils étaient en liaison avec un des accusés présents. C’était horrible et, à vrai dire, supportable seulement parce que les nerfs s’émoussaient de séance en séance. Aujourd’hui encore, je suis poursuivi par le souvenir de ces photos, de ces documents et de ces consignes qui semblaient aussi monstrueuses qu’incroyables et dont, pourtant, aucun des accusés ne mit en doute l’authenticité.
A côté de cela, c’était la routine habituelle et quotidienne. Toute la matinée, audience ; à midi, suspension de séance pour le déjeuner pris dans les salles du haut du palais de justice ; à quatorze heures, les débats reprenaient jusque vers dix-sept heures ; je rentrais alors dans ma cellule où je me changeais rapidement, donnais mon costume à repasser, prenais le repas du soir et enfin, le plus souvent, je me rendais dans le parloir de la défense où, jusqu’à vingt-deux heures, je m’entretenais avec mon avocat du déroulement du procès, prenant des notes pour ma future défense. Finalement, je rentrais le soir tard dans ma cellule pour, épuisé, m’y endormir aussitôt. Le samedi et le dimanche, le tribunal ne siégeait pas : nous n’en travaillions que plus longtemps avec nos avocats. Pour nos promenades dans la cour du jardin, il ne nous restait pas beaucoup plus d’une demi-heure chaque jour.
Notre situation de coaccusés n’avait développé chez nous aucun sentiment de solidarité. Nous nous étions divisés en plusieurs groupes. Le signe le plus net en fut l’instauration d’un jardin des généraux. Des haies basses séparaient le jardin de la prison en deux : une partie commune à tous les détenus et une autre partie plus petite, d’environ six mètres sur six, où nos militaires, dans un isolement volontaire, tournaient interminablement en rond, bien que ces petits cercles dussent être très désagréables. Les civils respectaient cette séparation. Pour les repas de midi, la direction de la prison nous avait répartis dans plusieurs salles. Je faisais partie du groupe de Fritzsche, Funk et Schirach.
Entre-temps, nous avions repris espoir d’avoir la vie sauve, car, après l’acte d’accusation général, chacun des accusés s’était vu lire un acte d’accusation particulier. Or il y avait dans les détails des différences très nettes. Aussi Fritzsche et moi-même comptions-nous bien, à ce moment du procès, sur des jugements différenciés ; car d’après ces actes nous devions nous en tirer l’un et l’autre relativement convenablement.
Dans la salle du tribunal, nous n’avions en face de nous que visages fermés et
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