Au Coeur Du Troisième Reich
pourrait permettre à cette ville de concurrencer un jour Vienne. Indubitablement il ne fallait pas prendre de telles déclarations tout à fait au sérieux ; c’était en fait son aversion pour Vienne qui, ressortant spontanément de temps à autre, l’y entraînait. Car, à d’autres occasions, il répétait assez quelle réussite représentait, à Vienne, l’utilisation des anciennes fortifications.
Déjà avant la guerre, Hitler déclarait de temps à autre qu’il voulait, après avoir atteint ses buts politiques, se retirer de la vie politique et venir vivre à Linz ses dernières années. Il ne jouerait plus alors aucun rôle dans les affaires de l’État et n’interviendrait pas dans le gouvernement de son successeur car, sans son effacement total, celui-ci ne pourrait jouir de l’autorité nécessaire. Mais les hommes se tourneraient vite vers ce dernier, quand ils s’apercevraient que c’était lui qui avait le pouvoir. Alors d’ailleurs on l’oublierait vite. Tout le monde l’abandonnerait. Non sans se complaire à cette idée, il continuait, s’apitoyant sur lui-même : « Peut-être l’un de mes anciens collaborateurs me rendra-t-il visite de loin en loin. Mais je n’y compte pas. A part M lle Braun, je n’emmènerai personne. M lle Braun et mon chien. Je serai seul et solitaire. Qui pourrait aussi, de son propre gré, demeurer longtemps près de moi ? Personne ne fera plus attention à moi. Ils iront tous faire la cour à mon successeur. Peut-être feront-ils une apparition, une fois dans l’année, à l’occasion de mon anniversaire. » Naturellement les convives présents protestaient qu’ils lui resteraient toujours fidèles et l’accompagneraient toujours. Quels qu’aient été les motifs qui le poussaient à occuper ses pensées d’une retraite politique anticipée, Hitler semblait, en tout cas, à ces moments-là, supposer que sa personnalité et son rayonnement n’étaient pour rien dans son autorité et que seule sa situation de despote en était la source et le fondement.
Le nimbe qui entourait Hitler était, pour ses collaborateurs moins familiers, incomparablement plus impressionnant que pour ses intimes. Ces derniers, parlant de lui, n’employaient pas le respectueux « Führer » mais le « chef » habituel et faisaient l’économie du « Heil Hitler », se disant simplement « bonjour ». On le raillait même ouvertement sans qu’il en prît ombrage. Hitler avait pour formule favorite : « Il y a deux possibilités » ; une des secrétaires, M lle Schröder, employait devant lui cette formule pour les choses les plus banales, disant par exemple : « Il y a deux possibilités. Ou bien il pleut, ou bien il ne pleut pas. » Eva Braun lui faisait remarquer sans façon, devant les convives, que sa cravate n’allait pas avec son costume et de temps à autre elle affirmait avec bonne humeur qu’elle était la « mère de la patrie ».
Un jour que nous étions assis autour de la grande table ronde du pavillon de thé, Hitler se mit à me regarder fixement. Au lieu de baisser les yeux, je relevai le défi. Qui sait quels instincts immémoriaux provoquent ces sortes de duels dans lesquels les adversaires se regardent droit dans les yeux jusqu’à ce que l’un des deux cède ? De toute façon, j’étais habitué à gagner ces duels mais je dus cette fois faire appel à une énergie presque surhumaine pour ne pas céder au besoin croissant de détourner les yeux. Cette lutte durait, me sembla-t-il, depuis une éternité, quand brusquement, Hitler ferma les yeux pour se tourner aussitôt après vers sa voisine.
Je me suis parfois demandé ce qu’il me manquait pour pouvoir dire de Hitler qu’il était mon ami. J’étais constamment près de lui, j’étais chez lui comme chez moi et, de surcroît, j’étais son premier collaborateur dans son domaine favori, l’architecture.
Il me manquait tout. De ma vie, je n’ai vu un homme laissant si rarement voir ses sentiments ou se fermant aussi rapidement après les avoir laissé entrevoir. A Spandau, nous nous sommes souvent entretenus avec Hess de cette particularité de Hitler. Notre expérience à tous les deux nous fit conclure qu’à certains moments on aurait pu supposer s’être rapproché de lui. Mais ce n’était jamais qu’une illusion. Si, sans se départir d’une certaine prudence, on se montrait sensible à son ton plus cordial, il se retranchait immédiatement derrière
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