Au Coeur Du Troisième Reich
main, que j’avais prévus pour plusieurs grandes salles réclamaient de très longs délais de livraison. Je fus donc obligé de décider, avant de savoir comment seraient les salles auxquelles je les destinais, quel format et quelles couleurs ils auraient. On tailla en quelque sorte les salles sur eux. Je refusai de me fixer un planning compliqué. Il n’aurait fait que prouver que ce projet était irréalisable. Sur bien des points, cette improvisation me fait penser aux méthodes que je devais employer quatre ans plus tard pour diriger l’économie de guerre allemande.
Le terrain tout en longueur invitait à prévoir une enfilade de pièces se succédant le long d’un axe. Je soumis le projet à Hitler : venant de la Wilhelmplatz, le visiteur franchissait un grand portail pour arriver dans une cour d’honneur. Par un perron, il pénétrait dans une première pièce de réception et passant une porte à double battant de presque cinq mètres de haut, débouchait sur un hall recouvert de mosaïque. Au bout de ce hall, il montait quelques marches, traversait une pièce ronde à coupole et se trouvait devant une galerie de 145 mètres de long. Celle-ci impressionna beaucoup Hitler, parce qu’elle faisait plus du double de la galerie des Glaces à Versailles. Des niches d’une grande profondeur devaient donner un éclairage indirect, et produire cet effet agréable qui m’avait frappé dans la grande salle du château de Fontainebleau, quand j’avais visité celui-ci.
J’obtenais ainsi une enfilade de pièces se succédant dans un changement constant de matériaux et de composition de couleurs de 220 mètres de long. C’est seulement après l’avoir parcourue que le visiteur parvenait à la pièce de réception de Hitler. Indubitablement, une débauche d’architecture d’apparat et certainement un art d’esbroufe, mais le baroque avait connu ça, on avait toujours connu ça.
Hitler était impressionné. « Vous verrez, exultait-il, ils prendront conscience de la puissance et de la grandeur du Reich allemand, quand ils auront fait tout ce chemin depuis l’entrée jusqu’à la salle de réception ! » Dans les mois qui suivirent, il ne cessait de se faire montrer le projet, mais n’intervint, alors que c’était pour lui que je construisais ce bâtiment, que très rarement et me laissa libre de faire ce que je voulais.
La hâte que montrait Hitler à faire progresser les travaux de la nouvelle Chancellerie avait pour raison profonde l’inquiétude que lui donnait sa santé. Il avait sérieusement peur de ne plus vivre longtemps. Dès 1935, des maux d’estomac firent travailler son imagination. Il essaya de les calmer par tout un système de privations qu’il s’imposait à lui-même ; il croyait savoir quels mets lui faisaient du mal et se mit peu à peu à suivre un régime très strict. Un peu de soupe, de la salade, des aliments très légers en très petite quantité. Il se mit à manger de moins en moins. Montrant son assiette, il s’exclamait d’un ton désespéré : « Et vous voulez qu’un homme vive de ça ! Mais regardez ça ! Ça leur est facile, aux médecins, de dire qu’un homme doit manger toutce qui lui fait envie 2 . Je ne digère presque plus rien. Après chaque repas, mes maux d’estomac recommencent. Manger moins encore ? Mais vous pouvez me dire de quoi je vivrais ? »
Il arrivait fréquemment que les douleurs l’obligent à interrompre brusquement un entretien, pendant une demi-heure ou plus ; parfois même il ne revenait pas. Il souffrait aussi, à ce qu’il disait, de ballonnements, de malaises cardiaques et d’insomnie. Eva Braun me raconta une fois que cet homme qui n’avait pas encore cinquante ans lui avait dit : « Je vais bientôt devoir te redonner ta liberté ; que ferais-tu avec un vieil homme ? »
Le médecin, le D r Brandt, était un jeune chirurgien qui essaya de convaincre Hitler de se faire examiner à fond par un spécialiste des maladies internes. Nous soutînmes tous cette proposition. On passa en revue les professeurs les plus célèbres et on chercha le moyen de réussir à garder cette consultation secrète. On évoqua la possibilité de le faire entrer dans un hôpital militaire, car le secret y serait mieux gardé. Mais à la fin Hitler rejetait toujours toutes les suggestions, prétextant qu’il ne pouvait absolument pas se permettre de passer pour malade, car cela affaiblirait sa position, surtout à
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