Au Coeur Du Troisième Reich
on servait son repas végétarien, il buvait de l’eau de Fachingen, son eau minérale habituelle, et si ses invités en éprouvaient l’envie, ils pouvaient l’imiter. Mais ils étaient peu à l’imiter. C’était Hitler lui-même qui tenait à la frugalité de ces repas. Il pouvait en effet être sûr que toute l’Allemagne en était informée. Lorsqu’un jour les pêcheurs d’Helgoland lui firent cadeau d’un énorme homard et qu’à leur grande satisfaction les invités virent arriver sur la table ce mets délicat, Hitler ne se borna pas à exprimer sa réprobation, se demandant par quelle aberration les hommes pouvaient manger des monstres à l’aspect aussi peu esthétique, mais il exigea aussi qu’un tel luxe fût interdit. Göring prenait rarement part à ces déjeuners. Un jour qu’un déjeuner à la Chancellerie m’obligea à me décommander chez lui, il me déclara : « Franchement, je trouve qu’on y mange trop mal. Et puis, ces militants de Munich, quels petits-bourgeois insupportables ! »
Hess faisait une apparition environ toutes les deux semaines, suivi, en un curieux équipage, de son aide de camp porteur d’un récipient en fer-blanc, dont les compartiments contenaient les différents composants d’un repas spécialement préparé à son intention, qu’il faisait ainsi apporter à la Chancellerie pour l’y faire réchauffer aux cuisines. Pendant longtemps, on cacha à Hitler que Hess se faisait servir son propre repas végétarien. Lorsqu’il finit par en avoir vent, il se tourna vers lui devant tous les convives rassemblés, lui déclarant d’un ton agacé : « J’ai ici une cuisinière qui fait une cuisine de régime de premier ordre. Si votre médecin vous a prescrit quelque chose de particulier, elle vous le préparera volontiers. Mais vous ne pouvez pas apporter votre manger. » Hess qui, déjà à l’époque, s’entêtait à contredire Hitler, essaya de lui expliquer que les différents éléments de son repas devaient avoir une certaine origine biologico-dynamique. Sans mâcher ses mots, Hitler lui déclara alors qu’il n’aurait donc qu’à prendre ses repas chez lui ; après cet incident, on ne vit plus Hess que très rarement.
Quand, sur la demande du parti, tous les foyers allemands ne durent plus servir, pour le repas du dimanche, qu’un seul plat, afin de permettre à l’Allemagne d’avoir « des canons au lieu de beurre », il n’y eut plus, au domicile de Hitler également, que de la soupe. A ces repas-là, le nombre des convives tombait régulièrement à deux ou trois, ce qui donnait à Hitler l’occasion de faire des remarques sarcastiques sur l’esprit de sacrifice de ses collaborateurs. Car il y avait en plus une liste de souscription où on pouvait s’inscrire pour une certaine somme. A moi, chacun de ces repas me coûtait de 50 à 100 marks.
Goebbels était l’homme le plus en vue de tous les convives ; Himmler ne faisait que de rares apparitions ; Bormann, lui, ne manquait naturellement pas un seul repas mais, appartenant tout comme moi à ces courtisans qui formaient l’entourage habituel de Hitler, il ne pouvait passer pour un invité.
Ici encore, les propos de table de Hitler n’arrivaient pas à échapper à un ensemble de sujets dont l’étroitesse ahurissante, en même temps que l’habituel parti pris dans la manière de considérer les hommes et les choses, avaient rendu les conversations de l’Obersalzberg si fatigantes. A la seule différence d’une formulation plus dure, on en restait au répertoire habituel ni élargi ni complété, à peine enrichi de quelques points de vue ou jugements nouveaux. Hitler ne se donnait même pas la peine de nous épargner les nombreuses répétitions si pénibles. Je ne peux pas dire que ses propos d’alors m’aient particulièrement impressionné, moi qui, pourtant, restais attiré par sa personnalité. Ils me dégrisaient plutôt, car je me serais attendu à des jugements et à des opinions d’un plus haut niveau.
Il répétait souvent, dans ses monologues, que ses idées politiques, militaires et esthétiques formaient un tout gardant cette unité qu’il lui avait donnée jusque dans les détails, quand il avait entre vingt et trente ans. Ilaffirmait que cette période avait été la période de sa vie la plus fructueuse sur le plan intellectuel, les projets qu’il faisait et le travail qu’il produisait n’étant que la mise en œuvre d’idées conçues à
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