Au Coeur Du Troisième Reich
disposés des fauteuils recouverts de cuir foncé ; derrière un sofa, se trouvait une table assez grande sur laquelle étaient toujours étalés quelques journaux. Au mur, il y avait une tapisserie et deux tableaux de Schinkel prêtés par la Galerie nationale pour la résidence du chancelier.
Hitler faisait son apparition avec un manque d’exactitude souverain. L’heure du repas était fixée à deux heures, mais il était souvent trois heures ou encore plus tard, avant que Hitler arrivât, parfois des appartements privés de l’étage au-dessus, plus souvent d’une conférence à la Chancellerie du Reich. Il faisait son entrée sans façons, à la manière d’un simple particulier. Il saluait ses hôtes d’une poignée de main ; on formait cercle autour de lui : il donnait son opinion sur tel ou tel problème du jour ; auprès de quelques privilégiés, il s’enquérait, sur un ton souvent impersonnel, de la santé de madame, demandait au chef du service de presse un résumé des dernières nouvelles, s’asseyait à part dans un fauteuil et commençait à lire. Il lui arrivait de tendre une feuille à l’un des invités, parce que la nouvelle lui semblait particulièrement intéressante, et d’ajouter quelques remarques.
Pendant quinze à vingt minutes encore, les invités restaient debout, formant de petits groupes, avant que l’on tirât le rideau qui pendait devant la porte vitrée menant à la salle à manger. L’intendant, avec son apparence d’aubergiste à l’embonpoint engageant, annonçait à Hitler, sur ce ton familier convenant à l’ambiance, que le déjeuner était prêt. Le Führer passait devant, les autres suivaient, entrant dans la salle à manger sans respecter de préséance.
De toutes les pièces qui avaient été transformées et aménagées par le professeur Troost, celle-ci, une grande pièce carrée (de 12 mètres sur 12 mètres) était la plus équilibrée. Le mur qui donnait sur le jardin était percé de trois portes vitrées, face à lui se trouvait un grand buffet plaqué de palissandre, surmonté d’un tableau inachevé de Kaulbach, par là même non sans charme et échappant en tout cas à certains côtés fâcheux de ce peintre éclectique. Les deux autres murs étaient coupés dans leur milieu par deux niches voûtées en plein cintre, dans lesquelles étaient exposés, sur des socles de marbre clair, des nus du sculpteur munichois Wackerle. De chaquecôté des niches se trouvaient d’autres portes vitrées qui menaient à l’office, au salon et à la pièce de séjour déjà mentionnée par laquelle on entrait. Les murs recouverts d’un plâtre lisse de couleur blanche tirant sur le jaune et les rideaux clairs de la même teinte donnaient une impression de profondeur et de clarté. Des ornements en saillie sur le mur soulignaient ce rythme clair et sévère, qu’une moulure à arête vive accentuait. L’ameublement était sobre et reposant. Une grande table ronde, à laquelle pouvaient prendre place environ quinze personnes, occupait le centre, entourée de chaises simples en bois foncé recouvertes de cuir bordeaux. Toutes les chaises se ressemblant, celle de Hitler ne se distinguait point des autres. Aux quatre coins de la pièce, il y avait quatre petites tables supplémentaires, avec quatre ou six chaises semblables aux autres. Le couvert était en porcelaine claire et sobre et les verres simples ; tout avait été choisi à l’époque par le professeur Troost. Au milieu de la table, il y avait une coupe avec quelques fleurs.
C’était là le restaurant « du gai chancelier », comme Hitler se plaisait souvent à dire en présence de ses invités. Sa place se trouvait du côté de la fenêtre, et avant d’entrer dans la salle à manger, il désignait les deux invités qui s’assiéraient auprès de lui. Les autres prenaient place autour de la table dans l’ordre d’arrivée. Quand il y avait beaucoup d’invités, les aides de camp et les personnes de moindre importance, dont je faisais partie, s’asseyaient aux petites tables, ce qui, à mes yeux, représentait un avantage certain, car on pouvait y converser avec plus de liberté.
Le repas était simple. On servait un potage, pas de hors-d’œuvre, de la viande accompagnée de légumes verts et de pommes de terre, et, pour finir, un dessert. Pour la boisson, nous avions le choix entre de l’eau minérale, une bière berlinoise ordinaire en bouteille, ou du vin bon marché. A Hitler,
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