Au Coeur Du Troisième Reich
mètres dans les anciennes salles d’exposition de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin.
Une grande maquette à l’échelle 1/1 000, représentant dans sa totalité la somptueuse avenue prévue, plongeait Hitler dans l’enthousiasme. Cette maquette était démontable et on pouvait en déplacer les différentes parties, montées sur des tables roulantes. Hitler pouvait donc s’engager en un point quelconque de « son avenue » pour juger de l’effet escompté ; il choisissait, par exemple, le point de vue d’un voyageur arrivant à la gare du Midi, ou bien il considérait l’effet produit à partir du grand dôme, ou de la partie médiane de l’avenue lorsqu’on regardait vers les deux extrémités. Pour que l’impression obtenue soit la plus proche possible de la réalité, il s’agenouillait, l’œil à quelques millimètres au-dessus du niveau de la maquette, tout en parlant avec une vivacité inhabituelle ; ce furent les rares moments où il abandonna sa raideur coutumière. Jamais je ne l’ai vu aussi exubérant, aussi spontané et détendu qu’à ces heures-là ; pour ma part, souvent fatigué et conservant, même après toutes ces années, un reste de timidité respectueuse, je demeurais généralement silencieux. Un de mes proches collaborateurs résumait ainsi l’impression que lui faisaient ces curieux rapports entre Hitler et moi : « Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes l’amour malheureux de Hitler ! »
Rares étaient les visiteurs qui avaient accès à ces salles soigneusement protégées des regards des curieux. Personne n’avait le droit de contempler le grand projet du futur aménagement de Berlin sans l’autorisation expresse de Hitler. Un jour, ayant examiné la maquette de la grande avenue, Göring attendit que sa suite se fût éloignée pour me dire d’une voix émue : « Il y a quelques jours, le Führer m’a parlé des tâches qui m’incomberont après sa mort. Il s’en remet à moi pour toutes les décisions à prendre dans le futur, à l’exception d’une seule chose : il m’a fait promettre que je ne vous remplacerais jamais par quelqu’un d’autre, dans le cas où il viendrait à mourir, que je ne me mêlerais pas de vos plans, mais vous laisserais décider de tout. Il m’a fait également promettre de mettre à votre disposition l’argent nécessaire pour vos constructions, tout l’argent que vous exigerez de moi. » Göring fit une pause émue. « Tout cela, je l’ai solennellement promis au Führer par une poignée de main, et à vous aussi je fais la même promesse. » Sur quoi, dans un geste pathétique, il me serra longuement la main.
Mon père, lui aussi, examina les travaux de son fils devenu célèbre. Face aux maquettes, il haussa simplement les épaules : « Vous êtes devenus complètement fous ! » Le soir, nous allâmes au théâtre pour voir une comédie dans laquelle jouait Heinz Rühmann. Par hasard, Hitler assistait également à la représentation. A l’entracte, il fit demander par ses aides de camp si le monsieur âgé, à côté de moi, était mon père, puis il nous fit venir tous les deux. Quand mon père – toujours droit et très digne malgré ses soixante-quinze ans – fut présenté à Hitler, il fut saisi d’un tremblement violent, comme jamais je ne lui en ai vu ni avant ni après. Il pâlit, ne réagit pas aux hymnes de louanges que Hitler entonna à la gloire de son fils et prit congé sans avoir prononcé une parole. Par la suite, mon père n’évoqua plus jamais cette rencontre et, pour ma part, j’évitai toujours de m’enquérir de cette agitation qui l’avait manifestement saisi à la vue de Hitler.
« Vous êtes devenus complètement fous. » Quand je regarde aujourd’hui les nombreuses photos des maquettes de notre avenue d’apparat, je me rends compte non seulement que notre projet était délirant, mais aussi que le résultat aurait été triste et ennuyeux. Certes, nous étions conscients du fait que construire sur la nouvelle avenue uniquement des bâtiments publics risquerait de donner l’impression d’une absence de vie, par conséquent nous avions réservé les deux tiers de sa longueur à des constructions privées. Avec l’aide de Hitler, nous pûmes annihiler les tentatives que fit l’administration pour évincer les immeubles commerciaux. Nous n’avions nullement l’intention de créer une avenue de ministères. Au contraire, nous avions, dans nos projets,
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