Au Coeur Du Troisième Reich
que l’on prenne soin de l’œuvre de Bruckner à Sankt Florian. Il fit pourtant propager dans le public l’image d’un amateur d’art passionné.
Je ne pus jamais découvrir si et dans quelle mesure Hitler montrait un intérêt quelconque pour les belles-lettres. Le plus souvent, il ne parlait que de littérature militaire, d’almanachs de la flotte ou de traités d’architecture qu’il étudiait avec passion dans la nuit. C’est la seule chose dont il parlait.
J’étais un travailleur acharné. Au début, je n’arrivais pas à comprendre comment Hitler pouvait gaspiller son temps de cette façon. J’étais prêt à admettre qu’à la fin de la journée, il se laissât aller à l’ennui et passât son temps d’une façon ou d’une autre. Mais perdre en moyenne six heures par jour me paraissait réduire exagérément la journée de travail. Quand, me demandais-je souvent, travaille-t-il vraiment ? Son emploi du temps quotidien ne lui en donnait pratiquement pas la possibilité. Il se levait en fin de matinée, expédiait un ou deux entretiens concernant le service, mais, à partir du déjeuner qui suivait immédiatement après, il gâchait plus ou moins son temps jusqu’aux premières heures de la soirée 1 . Les quelques rares rendez-vous fixés l’après-midi étaient menacés par sa passion pour les plans et les projets d’architecture. « Aujourd’hui, me priaient souvent ses aides de camp, ne lui montrez pas de plans, s’il vous plaît. » Je cachais alors les dessins que j’avais apportés à l’entrée, dans le standard téléphonique. Si Hitler me posait des questions, je les éludais. Mais il lui arrivait de percer à jour ce jeu et il allait chercher lui-même mes rouleaux dans le vestibule ou dans le vestiaire.
Aux yeux du peuple, Hitler était le Führer qui travaillait nuit et jour. Pour qui connaît la méthode de travail de certains tempéraments artistes, l’emploi du temps de Hitler, dépourvu de toute discipline, peut ressembler à ce style de vie en honneur dans la bohème. Pour autant que j’aie pu l’observer, il laissait un problème mûrir pendant ces longues semaines où il s’occupait de choses sans importance ; puis, subitement touché par la « révélation », il trouvait, en quelques jours de travail intensif, la formulation définitive de la solution qui lui paraissait juste. Les repas devaient aussi lui fournir l’occasion d’expérimenter de nouvelles idées comme en se jouant, de les aborder sous toutes les faces, de les polir et de les parfaire devant un public non critique. Ensuite, sa décision prise, il retombait dans son oisiveté.
10.
Déchaînement du néo-empire
Une ou deux fois par semaine je passais la soirée chez Hitler. Vers minuit, la projection de la dernière bobine terminée, il me demandait parfois mon rouleau de dessins et en discutait avec moi tous les détails jusque vers deux ou trois heures du matin. Les autres invités se retiraient pour boire encore quelque chose ou rentraient chez eux, sachant pertinemment qu’ils ne pourraient plus parler à Hitler. Celui-ci était tout particulièrement attiré par la maquette de notre ville future, montée dans les anciennes salles d’exposition de l’Académie des Beaux-Arts. Afin de pouvoir aller l’observer à sa guise, il avait fait aménager un chemin reliant la Chancellerie du Reich à notre bâtiment à travers les jardins des ministères, et percer des portes dans les murs de clôture. Parfois, il invitait le petit groupe de ses hôtes à venir dans notre atelier ; munis de lampes électriques et de clés, nous nous mettions en route. Dans les salles vides, des projecteurs éclairaient les maquettes. Je n’avais en général aucun commentaire à faire car Hitler, les yeux rayonnants, expliquait chaque détail à ses compagnons.
Grande était notre curiosité, quand on montait une nouvelle maquette et qu’on l’éclairait au moyen de puissants projecteurs en respectant l’angle qu’auraient fait les rayons du soleil. Dans la plupart des cas, ces maquettes étaient exécutées par des ébénistes avec une méticuleuse exactitude à l’échelle 1/50 et peintes dans la couleur des futurs matériaux. Peu à peu. on put ainsi assembler des sections entières de la nouvelle grande avenue, et obtenir une représentation très concrète des constructions prévues pour la prochaine décennie. Cette rue en réduction s’étendait sur une longueur d’environ trente
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