Au Fond Des Ténèbres
jours après l’assassinat, Stangl découvrit un dépôt clandestin d’armes nazies dans une forêt ; exploit qui lui valut un peu plus tard d’être décoré de l’Aigle autrichien au ruban vert et blanc et son inscription à l’école de la CID. « Et c’est là que tout a commencé », dit-il sombrement. Selon lui, cette décoration et son motif seraient restés suspendus des années au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès. L’entraînement à l’école de la CID était « extraordinairement intensif », dit-il. « Vingt et un enseignants pour dix-neuf élèves. Mais pour moi, dit-il pesamment, je sais maintenant que ça été le premier pas sur la route de la catastrophe. »
À l’automne de 1935, il fut transféré à la section politique de la CID de la ville de Wels, à une demi-heure de chemin de fer de Linz (capitale de la province). À l’époque, trois ans avant l’Anschluss – par lequel l’Autriche fut annexée à l’Allemagne en mars 1938 – c’était un des foyers de l’activité illégale des nazis. « J’étais sur le point de me marier, dit-il, Wels était un lieu de séjour très agréable… Et ma nomination était considérée comme une sacrée réussite pour un homme qui n’avait pas trente ans. »
En quoi consistait votre service dans ce nouveau poste ?
« Oh ! vous savez ce qu’était l’Autriche à l’époque. Il fallait dépister les activités antigouvernementales de tous bords : social-démocrates, communistes et nazies. »
Comme officier de police appartenant à la CID il était en civil.
Mais, du fait que vous vous trouviez à Wels, et étant donné les sentiments que beaucoup d’entre vous éprouvaient dans leur for intérieur pour les nazis, vous vous êtes comporté peut-être un peu moins sévèrement envers les nazis qu’envers les autres ? Une petite différence dans les manières, peut-être ?
« Sur les dix-huit hommes de la section, il y en eut certainement quelques-uns qui favorisaient les nazis », répondit-il d’un ton posé. « Mais en général, voyez-vous, les policiers autrichiens étaient simplement des professionnels. Notre tâche était de faire respecter la loi de la nation. Et somme toute, c’est ce que nous avons fait, quels que fussent les gens concernés. »
Mais il n’est pas possible qu’un homme intelligent, plongé dans les remous politiques de l’Autriche d’alors, ne se soit pas formé une opinion à lui ? Que ressentiez-vous personnellement à l’égard des nazis ?
Stangl avait une curieuse habitude – qui allait me devenir familière au fur et à mesure de nos conversations – il passait de son allemand un peu formaliste au parler populaire de son enfance, toutes les fois qu’il se trouvait placé devant une question à laquelle il lui semblait difficile de répondre. Ce n’était manifestement pas un procédé conscient chez lui ; cela n’annonçait pas non plus un mensonge de sa part. Souvent même au contraire, c’est lorsqu’il avait à formuler une vérité particulièrement difficile qu’il se réfugiait instinctivement dans la tiédeur et les circonlocutions du langage de ses premières années.
« Je vais vous dire, fit-il, en dehors de bien faire mon métier, pour sûr, rien ne m’intéressait beaucoup, dans tout cela. Je venais de me marier, vous comprenez. J’avais un chez-moi, pour la première fois. Je n’avais qu’une idée, me retrouver seul avec ma femme, la porte bien fermée. J’étais fou d’elle. Je n’étais pas du tout politisé. Je sais bien qu’aujourd’hui, ça peut paraître comme si je l’avais été ou avais dû l’être. Mais non. Je n’étais qu’un officier de police qui faisait son métier. »
Mais un métier que vous aimiez ?
« Ça oui, je l’aimais. Mais il n’y avait rien d’atroce, ni même de spectaculaire là-dedans dans ce temps-là. Pas autre chose qu’un métier qu’on s’appliquait à faire aussi correctement que possible – aussi gentiment que possible si vous voulez. Mais c’est vrai que la manière dont on le faisait ne pouvait pas être séparée des circonstances. »
Quelles circonstances ?
« Eh bien, jusqu’en 1937, le ministre de l’Intérieur, le Dr. Bayer, a été un antinazi convaincu. Mais au début du printemps de 1937 – juste un an avant l’Anschluss – il a été limogé et il y a eu des changements du haut en bas de l’échelle. Notre nouveau directeur de la Police
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