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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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repassé et brossé était accroché dans la penderie. J’en avais tellement marre que je me suis mis à haïr les uniformes. J’avais compris, dès ma petite enfance (je ne sais plus très bien à quel moment) que mon père ne m’avait pas vraiment désiré. Je les avais entendus en parler. Il n’était pas certain que je sois de lui. Il pensait que ma mère… vous voyez ce que je veux dire… »
    Était-il quand même gentil avec vous ?
    Il eut un rire sans joie. « C’était un dragon. Notre vie se conformait aux principes militaires. Je mourais de peur devant lui. Je me souviens d’un jour – je pouvais avoir quatre ou cinq ans et on venait de me donner une paire de pantoufles neuves. C’était une froide matinée d’hiver. Les voisins déménageaient. La voiture de déménagement était arrivée – un camion à chevaux naturellement. Le cocher était entré pour aider à porter les meubles. Il y avait là cette voiture magnifique, et personne en vue.
    « J’ai couru dehors dans la neige, comme j’étais, avec mes pantoufles neuves. J’enfonçais dans la neige à mi-mollets mais je m’en fichais. J’ai grimpé et je me suis installé tout là-haut sur le siège du cocher. Aussi loin que je pouvais voir, tout était calme, blanc et silencieux. Mais, tout au loin, j’ai vu s’avancer dans la neige une petite tache noire ; je l’ai regardée sans pouvoir distinguer ce que c’était. Et, tout à coup, j’ai reconnu mon père qui rentrait. J’ai dégringolé à toute vitesse, couru dans la neige épaisse, je suis rentré dans la cuisine et me suis caché derrière ma mère. Mais il est arrivé presque aussi vite que moi. “Où est le gars ? “a-t-il demandé, et il a fallu que je me montre. Il m’a allongé sur ses genoux et m’a donné une raclée. Quelques jours plus tôt, il s’était coupé au doigt et il portait un pansement. Il frappait si fort que la coupure s’est rouverte et s’est remise à saigner. Ma mère a hurlé : “Arrête, tu mets du sang partout… Mes murs propres ! “ » Deux ans après le début de la Première Guerre mondiale, Stangl avait huit ans, son père, me dit-il, était mort d’insuffisance alimentaire. « Il était maigre comme un manche à balai. On aurait dit un spectre, un squelette. »
    L’année suivante, sa mère se remaria avec un veuf, père aussi de deux enfants, « Le garçon avait tout juste mon âge ; nous sommes devenus inséparables. Il a été tué en 1942. »
    Votre beau-père vous traitait-il comme son propre fils ?
    « Il était bien » – Silence. « … Évidemment, je n’étais pas son fils, n’est-ce pas ? » – Nouveau silence. « Je me rappelle avoir été quelquefois jaloux de mon frère. »
    Quand les deux garçons eurent quatorze ans, le beau-père voulut les retirer de l’école pour les faire entrer à l’usine métallurgique où il travaillait. « Il voulait qu’on gagne de l’argent – il pensait toujours à l’argent. Wolfgang – son fils – ça lui était égal : il prenait tout du bon côté. Mais moi j’avais dans la tête de travailler à l’usine textile, c’était mon idée de toujours et pour ça il fallait avoir quinze ans. Alors je me suis débrouillé pour que ma mère et le directeur de l’école disent qu’il me fallait rester à l’école un an de plus. »
    Vous aviez beaucoup d’amis ?
    « Non, mais j’avais appris tout seul à jouer de la cithare et je suis entré au club de cithare. » Il commença à pleurer doucement et s’essuya les yeux du revers de la main, « Excusez-moi… »
    Il quitta l’école à quinze ans pour devenir apprenti tisserand.
    « J’ai fait mon apprentissage en trois ans, dit-il. À dix-huit ans et demi j’ai passé mes brevets ; j’étais le maître tisserand le plus jeune d’Autriche. » Il était encore fier de cette réussite. « J’ai travaillé à la fabrique et, au bout de deux ans seulement, j’avais quinze ouvriers sous mes ordres. Je gagnais 200 schillings par mois, j’en donnais les quatre cinquièmes à ma famille. »
    C’est tout ce que vous gardiez ? Ça vous suffisait, à vingt ans ?
    Il sourit : « Je gagnais deux fois ça en donnant des leçons de cithare le soir. »
    Avez-vous eu davantage d’amis alors ?
    « Non, mais j’avais la cithare. Le dimanche je me construisais un Taunus  – c’est un bateau à voiles. » Il se remit à pleurer ; il pleura un long moment :

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