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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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s’était procuré de l’or. Willie Fürst je me souviens, était là – il était hôtelier en Slovaquie ; et le petit Edek, le joueur d’accordéon – ils l’avaient attrapé aussi. Au bout d’un moment Edek, m’a-t-on dit, s’est mis à pleurer et a supplié les autres de dire ce qu’ils savaient. “Je ne veux pas mourir”, a-t-il dû crier. Aucun d’entre eux n’a parlé. Le docteur était mort et Franz a fini par les laisser ; il savait bien que c’étaient les spécialistes les plus précieux et ça c’était plus important que tout le reste. »
    « Je n’ai pas assisté à la fin, a dit Suchomel. Je suis sorti. Juste avant de quitter le Lazarett, j’ai crié en tchèque aux Juifs-or que Franz jouait la comédie, qu’il n’allait pas les tuer, et qu’ils ne disent rien. »
    « Je n’ai jamais entendu dire que Suchomel ait crié quoi que ce soit de ce genre aux Juifs-or », m’a dit Glazar.
    « Avec les travailleurs juifs, j’ai bien eu des contacts, m’a dit Stangl. De bonnes relations, vous savez. Vous m’avez demandé tout à l’heure si je prenais plaisir à quelque chose. Au-delà de mes attributions spécifiques, ce qui me faisait plaisir, c’était les relations humaines. Tout particulièrement avec des gens comme Singer et Blau. Ils étaient tous deux Viennois, j’ai toujours essayé de donner le plus possible de postes aux Juifs de Vienne. Ça a fait jaser à l’époque, je le sais. Mais après tout, j’étais autrichien… J’avais nommé Singer, chef des Totenjuden ; je l’ai beaucoup vu. Je crois qu’il était dentiste à Vienne. Ou peut-être ingénieur, dit-il après réflexion. Il a été tué durant la révolte. Ça a commencé dans le camp du haut, vous savez. [Il se trompait concernant Singer : il était allemand et non viennois, et dans les affaires, non dentiste ; de même à propos de la révolte, qui est partie du camp du bas.]
    « Blau est celui avec lequel j’ai le plus parlé ; lui et sa femme. Non, je ne sais pas quelle était sa profession ; les affaires je pense. Je l’avais nommé cuisinier du camp d’en bas. Il savait que je l’aiderais chaque fois que je pourrais. Un jour, il est venu frapper à la porte de mon bureau, au milieu de la matinée. Il s’est mis au garde-à-vous et m’a demandé la permission de parler. Il paraissait bouleversé. Je lui ai dit : « Entrez Blau, entrez. Qu’est-ce qui ne va pas ? « Il m’a dit alors que son père de quatre-vingts ans venait d’arriver par le convoi du matin et m’a demandé si je pouvais faire quelque chose. Je lui ai répondu : « Réellement, Blau, il faut comprendre, c’est impossible, un homme de quatre-vingts ans… « Il m’a répondu rapidement que oui, qu’il comprenait, bien sûr. Mais pouvait-il demander la permission d’amener son père au Lazarett plutôt qu’aux chambres à gaz. Et auparavant, pouvait-il l’emmener aux cuisines et lui donner à manger. Je lui ai dit : « Allez et faites pour le mieux, Blau. Officiellement je ne sais rien, mais vous pouvez dire officieusement au Kapo que je suis au courant. « Dans l’après-midi, quand je suis retourné au bureau, il m’attendait. Il avait les larmes aux yeux. Il s’est mis au garde-à-vous et m’a dit : « Mon commandant, je viens vous remercier. J’ai donné un repas à mon père. Et je viens de l’emmener au Lazarett. Tout est fini. Merci beaucoup. « Je lui ai dit : “Blau, il n’y a pas de quoi me remercier, mais bien sûr, si vous en avez envie, vous pouvez. “ »
    Qu’est-il arrivé à Blau et à sa femme ?
    Toujours le même vague : « Je ne sais pas. »
    Cette histoire, la manière dont elle m’a été racontée, représente pour moi l’exemple le plus parfait de corruption de personnalité que j’aie jamais rencontré et sur le moment j’ai failli couper court aux entretiens. J’ai avancé l’heure du déjeuner et je suis partie m’asseoir deux heures dans une brasserie, de l’autre côté de la rue, en proie à un malaise [72] intense, tel que je n’en avais jamais ressenti, à l’idée d’avoir à écouter encore ces révélations.
    Je pense que si, finalement, j’ai pu retourner dans la petite salle de la prison, c’est que je venais de réaliser – peut-être à la lumière de l’intensité de ma propre réaction – qu’à un homme dont la vision des choses était déformée au point qu’il pouvait raconter cette histoire de cette manière, les

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