Au Fond Des Ténèbres

se sont présentés volontairement, à cause des gains supplémentaires et dans l’espoir de ne pas aller au front ; et, bien qu’on ne puisse pas ignorer le nombre d’Autrichiens qui ont occupé des postes importants dans ce secteur politique particulier du III e Reich, je suis persuadée néanmoins que le fait d’accepter tant de « volontaires » non originaires de l’ancien Reich faisait partie d’un système délibéré. Psychologiquement, c’étaient des hommes dont on pouvait penser qu’ils se croyaient moins en sécurité et que par conséquent, on pouvait les amener à se sentir plus dépendants, plus anxieux de prouver leur nouvelle allégeance nationale. Pratiquement, en somme, ils étaient plus vulnérables aux pressions. Et quand eut lieu la sélection des quatre-vingt-seize SS qui devaient mener l’Aktion Reinhardt, en Pologne, ces hommes, j’en suis convaincue, ont été choisis très soigneusement dans les rangs des quatre cents membres du personnel d’origine de T4, pour les qualités spécifiques observées durant leur « apprentissage » au Programme d’euthanasie. Il est très significatif de constater que les dossiers du personnel militaire allemand en général et une grande partie de ceux des SS en particulier ont survécu à la guerre, alors que les dossiers de ces quatre-vingt-seize personnes, ainsi que les archives de la Chancellerie du Fürher et de T4 ont disparu.
    Auparavant, j’avais demandé au père de Horst s’il avait signé (comme Stangl) quand il avait reçu l’ordre de se présenter la première fois à T4 à Berlin, un document par lequel il abandonnait l’Église et déclarait être croyant non pratiquant. « Non », avait-il répondu sans hésiter.
    Ne lui avait-on jamais demandé de le faire ?
    « Non. »
    En supposant qu’on l’ait fait, et si on l’avait menacé de fusiller sa famille, aurait-il signé ?
    « Non, persista-t-il, je n’aurais pas renié ma foi. »
    Sa femme le poussa du coude : « Gustl, s’ils avaient menacé ta famille ? tes enfants ? »
    « J’aurais renoncé à ma foi », dit-il alors docilement. Plus tard, Horst m’a dit : « Je n’ai pas voulu m’en mêler mais pour ce qui est de cette histoire de religion c’est seulement ici, à Unterammergau, qu’il a recommencé à aller à l’église. Après… après qu’il eut rejoint l’Église. »
    « Rejoint ? »
    « Il y a eu une cérémonie. Après avoir été croyant non pratiquant, il a été officiellement réintégré dans l’Église. » [Un prêtre m’a expliqué plus tard que ce n’était pas une cérémonie prescrite ou exigée. « C’est laissé à l’appréciation du curé de la paroisse. » Habituellement, tout ce qu’un catholique croyant non pratiquant avait à faire c’était d’aller se confesser, de recevoir l’absolution et de recevoir alors la communion. Cela se fait ou non à l’occasion d’une fête, au choix.]
    J’ai demandé à Horst Münzberger et à sa femme s’ils passaient beaucoup de temps avec les deux vieux. Est-ce que les grands-parents avaient beaucoup de contacts avec les enfants ? Est-ce qu’il y avait de la tension ou est-ce que tout allait bien ?
    Horst a ri amèrement. « Aller bien ? Comment tout ça pourrait-il bien aller ? Nous nous en arrangeons, c’est tout, parce qu’il faut nous en arranger. »
    Sa femme a hoché la tête tristement. « Que pouvons-nous faire ? Ils sont vieux. »
    « Bien sûr, qu’il y a de la tension ; c’est au fond de nous, tout le temps, a dit Horst. C’est spécialement dur pour ma femme. »
    « Est-ce que les vieux ont un peu d’argent à eux ? » ai-je demandé et il a secoué la tête.
    « Je ne peux dire s’il a eu de l’argent après Treblinka. Je ne peux dire ni oui ni non. Mais certainement il n’en avait pas au moment du procès et après j’ai même été jusqu’à essayer de lui obtenir une aide financière… »
    « Une aide ? De qui ? d’Odessa [78]  ? »
    « Non, je ne connais pas Odessa. Mais quelqu’un m’avait dit qu’il existait une organisation qui aidait les gens comme lui, alors j’y ai été – HIAG je crois que ça s’appelait. »
    « Comment aviez-vous eu leur adresse ? »
    « C’était tout à fait en cachette. J’ai été envoyé d’un endroit à un autre – un tel était au courant, et un autre aussi. En tout cas, j’ai fini par trouver le bureau et ils m’ont questionné sur mon père. Je leur