Au Fond Des Ténèbres
ai demandé de l’argent pour ma mère – vous savez, il allait en prison pour douze ans ; nous ne gagnions pas encore beaucoup ; nous avions si peu d’argent. Aussi j’avais pensé que peut-être ils voudraient aider ma mère. Mais pas du tout. Ils m’ont dit que mon père n’avait pas droit à leur aide… »
Or la HIAG est l’équivalent SS de la British Légion ou des organisations américaines de vétérans. C’est une association primitivement destinée à garder le contact avec les membres des unités combattantes de l’ancienne SS et à leur fournir de l’aide. (Ces derniers sont bien plus nombreux que ceux du personnel des camps de concentration, personnages devenus familiers au monde entier à travers films et romans.) Il est donc curieux que tant de mystère ait régné autour du siège de la HIAG. Elle fait connaître presque ouvertement son existence dans le magazine SS Der Freiwillige (le Volontaire) publié par Munin Verlag à Osnabruck. Il est vrai que ce journal vit de souscriptions et est envoyé sous pli fermé ; mais ce n’est en aucune façon une publication clandestine. On comprend mieux qu’ils aient repoussé la demande de Horst. Ils sont très soucieux de présenter la SS, rétrospectivement, comme une unité purement combattante et par conséquent, répugnent sans aucun doute, à fournir une aide financière à ceux des membres de la SS qu’ils souhaitent le plus renier.
« Maintenant, nous n’avons plus de problème d’argent, bien sûr, a dit Horst. Les affaires marchent bien. Ce n’est pas ça. Je suis heureux de le laisser travailler ici – il fait des petites choses simples ; cela l’aide… Oui je l’aime encore – je suppose. Je suppose qu’aimer son père c’est comme vivre. C’est comme ça, simplement. Sur ce qu’il a fait… je ne pourrais même pas vous dire… Je ne pourrais pas trouver les mots pour exprimer à quel point cela me paraît terrible, terrible au-delà de toute expression. Et que ce soit mon père, à moi… »
Tout était silencieux dans le merveilleux petit salon plein d’objets merveilleux – tous de la main de Horst. Dans la grande cuisine, derrière la porte, les enfants jouaient et riaient. Ils étaient ravissants avec cette beauté gaie et ces voix claires des jeunes enfants allemands.
« Le pire, continua Horst, ce sont les enfants. Voyez-vous ma femme et moi nous savons très bien qu’un jour, pas très lointain maintenant, Christian (l’aîné des garçons) nous posera des questions ; il a huit ans. Vers dix ans, il se mettra à l’histoire moderne à l’école. Je ne sais pas comment l’école leur apprend ça – mais ils ne peuvent pas faire silence sur ces horreurs. Et alors – vous savez comment c’est dans les villages – un autre gosse lui dira forcément : “Eh ! Christian, ton grand-père en était.” « Et il rentrera à la maison et nous demandera : “Qu’est-ce que grand-père a fait là-dedans ?” C’est ce dont ma femme et moi voulions vous parler. C’est ce que nous voulions vous demander : comment le dire à mon fils ? »
13
Au procès, ai-je dit à Stangl, on a répété et rerépété que vous aviez la réputation d’être formidable à votre travail. Les prisonniers vous appelaient un seigneur, un « Napoléon ». Quand vous apparaissiez, tout le monde, même vos propres hommes travaillaient plus dur, plus vite. Et, en fait, vous avez reçu des félicitations officielles comme « le meilleur commandant de camp en Pologne », n’est-ce pas ? Ne vous aurait-il pas été possible, afin de marquer quelque peu votre désaccord, ne serait-ce que pour vous-même, de faire votre travail de manière un peu moins « formidable » ?
On ne pouvait s’empêcher de se rappeler le témoignage au procès de trois survivants décrits par le procureur Herr Alfred Spiess comme « particulièrement objectifs, équilibrés et dignes de foi ». Ils ont affirmé qu’il était présent aux séances de fouet et aux pendaisons, bien qu’il ait nié y avoir jamais assisté.
Quatre témoins, Glazar, Unger, Strawczynski, Samuel Rajzman et cinq SS, Rum, Matthes, Münzberger, Miete et Horn ont confirmé qu’au moins sept pendaisons ont eu lieu à Treblinka de son temps – certains hommes étant pendus la tête en bas – et que Stangl, s’il n’y a pas assisté ainsi que certains prisonniers le proclamaient, devait « au moins » avoir eu connaissance de ces événements,
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