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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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situation unique, la distance entre eux et tous les autres – imaginez. Non, c’est inimaginable.
    « Je souhaiterais qu’il vous parle. Pour moi c’était la foudre qui tombait quand on est venu l’arrêter. Oh ! j’avais bien comme une idée que les choses n’avaient pas été ce qu’elles auraient dû être. Et quand on l’a arrêté, bien sûr, les rumeurs les plus folles ont circulé. Mais je ne savais rien. J’aurais aimé qu’il m’ait préparé, qu’il m’ait parlé, qu’il m’ait dit la vérité… Oui je sais maintenant de quoi il a été accusé et puni ; j’ai lu le réquisitoire. Mais je ne l’ai pas su par lui. Maintenant ce que je souhaite, pour lui-même, c’est qu’il puisse se libérer l’esprit en parlant… » Münzberger, sous-officier SS, était arrivé à Treblinka après avoir servi à l’Institut d’euthanasie de Schloss-Sonnenstein à Pirna – appelé aussi Die Sonne (Le soleil).
    « Après sa mobilisation, a dit Horst, il est venu souvent en permission, très souvent. Mais jamais en uniforme. Je ne l’ai jamais revu en uniforme – toujours en civil. Nous passions de très bonnes vacances, oui tout allait très bien pour nous je me souviens, oui. Je pense que les gens chez nous savaient. Je me rappelle le père d’un camarade de classe me disant une fois : “Attends un peu, ton père, nous l’aurons un jour.” C’était un Tchèque. À cette époque, bien sûr, je ne savais pas ce qu’il voulait dire, mais je pense que lui savait. Mais ma mère ne disait rien… »
    « Je savais un peu ce qu’il faisait, a dit la vieille Frau Münzberger. Il était censé ne rien dire naturellement, mais vous savez comment sont les femmes. J’ai fouillé, fouillé et finalement il a parlé. C’était affreux bien sûr, mais que pouvions-nous faire, nous ? »
    « Ma mère et moi avons été le voir à Pirna, a dit Horst. Il y avait un bâtiment spécial, avec des salles communes pour le personnel, où il nous a reçus. Je me rappelle qu’il y avait un tas de Baltes tout autour dans le jardin, des femmes et des enfants aussi. »
    « Les Baltes ? a dit le vieil homme, comme s’il reprenait ses sens. Oh ! ce n’étaient que des Umsiedler (recasés) – ils n’avaient rien à voir avec ce qui se passait à Pirna. C’était si grand vous savez, on utilisait seulement une partie du terrain comme centre d’accueil pour ces Baltes allemands. Si je condamnais ce qui se faisait à Pirna ? Je ne sais pas, dit-il avec lassitude. Certains, parmi ceux qu’on amenait là, étaient si… c’était si atroce – réellement c’était une bénédiction pour eux de mourir. Si j’ai essayé de sortir de là ? Et de sortir de Treblinka plus tard ? Quand ils m’ont envoyé à Treblinka, je pense qu’il y a eu une erreur administrative : on m’avait donné deux nominations différentes, vous savez, deux papiers. Alors j’ai été voir Wirth en arrivant à Treblinka, je les lui ai montrées et j’ai dit : “Est-ce que je peux, s’il vous plaît, demander la permission de rejoindre l’autre poste.” Mais il m’a envoyé sur les roses dans des termes sans réplique. Il m’a dit que le travail à Treblinka était plus important que tout et que ça passait par-dessus tous les autres ordres.
    « Nous, là-haut, au Totenlager a-t-il dit, nous n’avions pas de billot de fouet ou de choses comme ça. Moi, j’étais tout juste content quand le soir je pouvais descendre dans ma chambre et avoir la paix. Oui, nos quartiers étaient en dessous, dans le camp du bas. Ce que je faisais le soir ?… » Il a haussé les épaules et a fait le geste de porter une bouteille à sa bouche. Sa femme a souri avec sympathie et a ajouté spontanément : « J’ai travaillé pendant des années pour les Stein ; c’étaient des Juifs de notre ville. Et Gustav avait de nombreux clients juifs. »
    « Bien sûr, avant la guerre, le quart de la population était juive », a-t-il dit en l’interrompant.
    Sa femme a poursuivi : « Nous n’avions rien contre eux. À l’école j’ai été assise au même banc que je ne sais combien de filles juives. Qu’est-ce qu’on en savait, qu’est-ce que ça pouvait nous faire ! Elles allaient à la synagogue, nous allions à l’église, c’est tout… »
    Le visage de Gustav Münzberger change d’un instant à l’autre. Il passe du perpétuel larmoiement du vieillard à la résignation et à la lassitude. Et puis –

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