Au Fond Des Ténèbres
normal et amical. Hirschfeld, je vous dis, était quelqu’un de bien. Il avait un rôle très délicat. Vous savez que tout émigrant juif avait ses biens, confisqués. Mais il lui fallait aussi s’acquitter d’une certaine somme – une taxe disait-on – pour obtenir son visa de sortie. C’est Hirschfeld qui était chargé de trouver de l’argent pour les Juifs trop pauvres. Au cours de cette tournée il m’a raconté un tas de choses sur le mal qu’il avait à tirer de l’argent des riches pour les pauvres. Après notre retour, durant une assez longue période, il avait pris l’habitude de venir me trouver quand il avait besoin d’aide parce qu’il savait que je ferais mon possible. »
Savez-vous ce qu’il est devenu ?
Il prit un air vague :
« Je ne suis pas sûr. Je crois qu’on m’a dit qu’il était en Amérique. »
Max Hirschfeld, en effet, était parti pour l’Amérique en décembre 1939. Il habite San Francisco. Il refusa de venir en Allemagne pour le procès de Stangl et son témoignage fut enregistré à San Francisco (chose assez courante quand un témoin ne voulait pas retourner en Allemagne). M. Hirschfeld a confirmé la tournée en Bohême ; plus précisément, il y avait eu selon lui deux voyages chacun d’une journée. « Nous déjeunions tous ensemble, je payais la note pour tout le monde sans qu’on me l’ait demandé. » Il nia avoir rendu visite à Stangl à son bureau, disant que Stangl était sousles ordres de deux autres fonctionnaires Botke et Greil, et que Greil avait fait partie lui aussi de l’escorte de Bohême. Stangl lui-même, dit Herr Hirschfeld ne commandait pas en chef il était sous les ordres des deux autres. « Son bureau était attenant à celui de Botke ; c’est ce dernier que j’allais voir et Stangl pouvait entendre tout ce que nous disions. »
La défense avait parlé d’une carte postale que Herr Hirschfeld aurait envoyée des U.S.A. à Stangl ce que Herr Hirschfeld nie. Toutefois il reconnaît avoir bien envoyé une carte à Greil avec qui il avait “de bons rapports” et qui lui était souvent venu en aide. Il ajouta toutefois : « Stangl n’était pas impoli avec moi. Il disait “Hirschfeld” en s’adressant à moi, mais c’était l’habitude ; il ne m’a jamais tutoyé, ni dit “Juif”. C’était autre chose avec Eichmann – lui ne ma parlait qu’à la troisième personne. Qualifier d’“amicaux” mes rapports avec Stangl est certainement exagéré. Je dirais néanmoins que je pouvais m’entretenir avec lui plus librement qu’avec les autres fonctionnaires du service. »
En janvier 1939, peu après l’absorption de la police politique (c. -à-d. la sécurité) par la Gestapo, cette section de la police de Wels fut transférée au Q.G. de la Gestapo de Linz, capitale de la province. « Mais c’est à Wels qu’était notre joli appartement, dit Stangl, alors je faisais le trajet tous les jours. Notre nouveau chef était Georg Prohaska, un Allemand de Münich, un affreux réactionnaire. Je l’ai détesté à première vue. Peu après notre arrivée il est venu un type de Berlin pour nous lire “au nom du Führer” (ces mots dits par Stangl sur un ton de dérision) nos nouveaux titres. Moi, j’étais nommé “au nom du Führer”, Kriminalassistant. Mais je n’y gagnais rien : c’était une rétrogradation, pas une promotion. En Autriche, le poste de Kriminalbeamter – qui avait été le mien – est un poste de titulaire, qui donne droit à une retraite. Dans la hiérarchie de la police allemande, un Kriminalassistant, ça n’est rien – un simple auxiliaire. »
Et ça n’a pas été rectifié plus tard ?
« Si, si, quelques semaines plus tard. Ils ont reconnu qu’une erreur avait été commise et mon statut de Beamter auf Lebenszcit (fonctionnaire titulaire) m’a été confirmé. Et j’ai été promu Kriminaloberassistant, équivalent allemand de ce qu’aurait été ma promotion suivante en Autriche [5] . Mais, poursuivit-il, Prohaska avait compris que je n’étais pas quelqu’un à me laisser faire et à partir de ce moment-là il m’a haï et il a fait de ma vie un enfer. Et c’est très peu de temps après que j’ai reçu l’ordre de signer un papier où je déclarais que j’étais prêt à abandonner ma religion. »
Comment était rédigé exactement ce papier ?
« Il portait que j’affirmais être un Gottgläubiger [6] mais que j’acceptais de rompre mon
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