Au Fond Des Ténèbres
d’un certain nombre de faits irréductibles démontrant que, par-delà les activités charitables des membres du clergé romain, il y eut, de la part de quelques-uns d’entre eux (presque tous Allemands et Autrichiens) un effort délibéré pour aider des individus spécifiques particulièrement compromis dans les crimes nazis.
Par égard pour la justice, un fait doit néanmoins être rappelé ; sur tout le territoire de l’Europe en guerre, Rome a été la ville la plus à l’abri des actions terroristes ouvertes des Allemands – et cela essentiellement à cause du Vatican. Je ne veux pas minimiser la déportation des Juifs romains en 1943-1944 [100] mais jamais ne s’est exercée à Rome la terreur qui régnait ailleurs sans cesse ni relâche. Les affreuses expériences que connurent ceux qui vivaient en pleine terreur ont été épargnées jusqu’à un certain point aux habitants de Rome, prêtres inclus ; c’est pourquoi on peut accorder une part au moins de circonstances atténuantes à ceux qui invoquent aujourd’hui à leur décharge sinon une ignorance spécifique, du moins l’ignorance en général.
De la même façon – et c’est de nouveau à mes yeux un critère décisif – une bonne part de l’initiative et pour finir de la responsabilité finale de la fuite et de la survie de ceux qui passèrent les mers repose sur les individus eux-mêmes. La meilleure preuve en est fournie par la vie relativement modeste qu’ont menée dans les pays d’asile ceux que nous avons pu réellement connaître (à la différence de ceux sur lesquels courent des rumeurs dramatiques).
À mes yeux, l’évasion de Stangl – et les événements qui l’ont précédée – telle qu’elle m’a été décrite par lui, par sa femme et par plusieurs autres personnes directement ou indirectement impliquées, offre un élément significatif de comparaison à opposer à d’autres récits, d’une authenticité peut-être plus douteuse.
Cinquième partie
4
Je me suis entretenue ensuite avec M gr Karl Bayer, directeur jésuite de la Caritas internationale à Vienne, qui venait de quitter depuis peu le poste correspondant qu’il occupait à Rome depuis la guerre.
Les liens de M gr Bayer avec Rome remontent à sa jeunesse. Né en Silésie, il a fait ses études de prêtre à Rome et a résidé au Germanikum. Il a servi pendant la guerre dans la Luftwaffe, comme interprète, non comme aumônier (la Luftwaffe n’en avait pas, dit-il), il avait ses quartiers en Italie, où il fut fait prisonnier à l’arrivée des Alliés. Il était attaché à l’état-major, responsable des cantonnements et a figuré également parmi les interprètes de Kesselring dans les réunions où l’on devait décider si Florence serait déclarée ville ouverte. C’est lui qui a traduit l’avis à la population italienne concernant la destruction des ponts de Florence. « Je m’étais lié, dit-il, avec une famille italienne qui possédait une boutique sur le Ponte Vecchio – ils vendaient des soieries. La nuit où fut placardé l’avis – il était fort tard et je savais que, la plupart des gens ne sortant pas la nuit à cette époque, ils auraient trop tard connaissance de l’avis – j’ai pris un camion pour aider la famille à déménager son stock et le mettre en lieu sûr, dans une zone comprise dans l’accord de ville ouverte. Ils ont été les seuls dans ce coin, dit-il, avec une satisfaction évidente, qui n’aient pas perdu jusqu’à leur chemise quand a eu lieu l’explosion le lendemain matin. »
Des mois plus tard, cette famille devait lui venir en aide alors qu’il cherchait à gagner Rome après une audacieuse évasion du camp d’internement américain de Ghedi où les cinquante-cinq prêtres qui s’y trouvaient l’avaient élu pour aller intercéder auprès du Vatican en leur faveur. Le Vatican l’a alors désigné comme aumônier responsable des 250 000 prisonniers allemands en Italie du Nord.
M gr Bayer qui a aujourd’hui la soixantaine, est grand, svelte, beau, et dégage un agréable parfum de lotion after-shave. Il conduit sa voiture de sport immatriculée en Italie et semble très confortablement installé dans le bâtiment rénové, proche du centre de Vienne, qui abrite la Caritas internationale. J’ai compris qu’il est surtout chargé de l’administration financière : il a fait plusieurs allusions à des demandes de secours financier émanant de diverses communautés
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