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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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qu’il lui parvînt, que les opinions qu’il exprimait avaient cours dans les cercles dirigeants nazis ; cette lettre n’a pu que souligner encore plus fortement la terrible menace qui pesait sur le catholicisme allemand.
    Une tragique anxiété sur le très réel danger que courait l’une des plus puissantes forteresses du catholicisme en Europe me paraît donc être la seconde raison principale de l’attitude du pape. À cette peur venait fatalement s’ajouter l’état de l’opinion publique et des sentiments des catholiques allemands.
    Dans un article paru dans l’Amitié judéo-chrétienne (de décembre 1949) Jacques Madaule a écrit qu’ « il est presque impossible au pape d’exprimer un avis s’il n’y est contraint par une sorte de vaste mouvement d’opinion qui monte des masses et qui se transmet des fidèles au corps des prêtres ». Car, dit-il, « l’Église est (par essence) une démocratie ».
    Cette explication revêt une importance cruciale. Si l’épiscopat allemand et autrichien était persuadé que l’opinion catholique du Grand Reich était, dans sa majorité, favorable au national-socialisme, alors, selon ladite thèse, les moyens d’action du pape, déterminés par cette opinion publique, se sont trouvés limités. Nous pourrions objecter – et nous souhaiterions certes le faire – que, s’il en était ainsi, le Saint-Père aurait dû se sentir d’autant plus tenu d’user de son influence contre de telles attitudes, qui tendaient en dernière analyse à l’abandon de toute moralité. Mais l’objection manquerait son but.
    Elle le manquerait parce que l’opinion favorable que nourrissaient les Allemands – catholiques ou non – à l’égard du national-socialisme n’était en aucune façon inspirée primitivement ou principalement par l’antisémitisme ou par toute autre motivation répréhensible. Elle correspondait, essentiellement pour la grande majorité des Allemands, à la conviction qu’il s’agissait d’un nouveau système politique et économique porteur d’un ordre nouveau signifiant l’intégrité, le sentiment de la dignité nationale, la parité économique. Les éléments pseudo-mystiques n’étaient introduits dans les masses que graduellement et surtout en direction des jeunes. Théoriquement, le Vatican n’avait pas plus le droit de se mêler des problèmes de la politique intérieure allemande que du système politique de la Grande-Bretagne, des États-Unis ou de la France.
    Quand on rapproche « ce grand mouvement d’opinion », signe pour le pape que les catholiques allemands acceptaient le national-socialisme, des renseignements dont il disposait sur les mesures prises par les nazis contre l’Église et sur ce qu’elles présageaient, alors le fait que le pape se soit refusé à condamner les atrocités nazies n’en devient pas plus justifiable ni satisfaisant, mais on le comprend mieux.
    L’attitude du pape a donc été déterminée d’abord par sa peur du bolchevisme, en second lieu par sa peur de projets nazis visant à une abolition éventuelle de l’Église. Il a dû avoir l’impression, compte tenu de l’acceptation foncière du national-socialisme par la presque totalité des Allemands, et de l’enthousiasme effréné des jeunes en particulier, que toutes les critiques qu’il pourrait émettre sur la politique des nazis risqueraient de détacher les catholiques allemands et d’accroître démesurément – de précipiter même – le danger qui menaçait l’Église à long terme (n’oublions pas que, pour adresser une encyclique condamnant l’euthanasie, il a attendu jusqu’en juin 1943, époque où il était devenu évident pour lui que parmi les catholiques allemands le « grand mouvement d’opinion » s’orientait d’une façon décisive contre l’euthanasie).
    Telles furent donc les motivations majeures du pape. Mais il y en avait deux autres. La première est qu’il en était venu, tout simplement, à aimer l’Allemagne. C’est en Allemagne – il l’a souvent répété – qu’il avait passé les années les plus heureuses de sa vie, c’est avec des Allemands qu’il avait noué dans sa jeunesse, puis plus tard encore et jusqu’à sa mort, les relations les plus intimes. Ayant bien connu tant d’Allemands – dont, parmi eux, tant d’excellents – il a dû se trouver dans la quasi-impossibilité de croire aux histoires abominables qu’il a commencé à entendre à partir de

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