Au Fond Des Ténèbres
compatriotes. Je me rappelle parfaitement Draganovic. C’était le chef du Comité croate. Il est très vraisemblable qu’il a eu l’appui du cardinal Siri, aujourd’hui archevêque de Gênes ; vous voyez, dans ce cas encore, le devoir consistait simplement à secourir des gens dans le besoin… »
Il m’a longuement parlé de son activité personnelle en faveur des prisonniers de guerre allemands. « Le Saint-Père a fondé l’Agence pontificale d’assistance aux prisonniers de guerre allemands et a chargé sœur Pascalena de s’occuper de tout le matériel envoyé au Vatican ou collecté par lui pour les réfugiés. »
Sœur Pascalena Lehner qui était une religieuse converse de dix-huit ans quand elle commença à travailler pour Eugenio Pacelli à Münich, ne devait plus quitter son service. On a souvent prétendu qu’elle exerçait une grande influence sur le pape, ce qu’elle a toujours nié. Très âgée aujourd’hui, et aigrie par les allégations et les bruits qui ont couru sur elle, elle a déclaré qu’elle ne quitterait plus son couvent romain et n’adresserait plus la parole qu’aux religieuses jusqu’à la fin de ses jours.
« Il y avait des entrepôts pleins de matériel – vêtements, aliments, articles de toilette, cigarettes – cigarettes surtout – le tout d’une grande importance pour les prisonniers, parce que les Alliés refusaient toute faveur à certaines catégories de prisonniers. Les SS de tous grades, par exemple et les parachutistes n’avaient droit à rien. Je me souviens qu’il y avait dans les stocks de sœur Pascalena deux millions et demi de cigarettes laissées par le corps d’armée brésilien [123] – qu’on appelait les “oiseaux rouges”. Elle m’a donné tout le lot pour les soldats… »
Certains écrivains ont prétendu que sœur Pascalena avait son mot à dire dans le choix de prisonniers de guerre destinés à bénéficier de la « filière d’évasion du Vatican ».
« Cela me paraît absurde, dit M gr Bayer. Ce n’était pas du tout ce genre de personne ; je crois qu’elle n’aurait pas su qui « choisir ». Miséricorde ! tout le monde connaît cette espèce : c’était la brave religieuse allemande ; la politique, elle ne s’y intéressait pas, n’y connaissait rien et elle n’avait aucune influence. »
Avait-elle de l’influence sur le pape ?
« Eh bien, elle avait autorité sur les trois religieuses qui tenaient la maison – le personnel domestique du pape. Mais je ne peux pas croire un instant qu’elle ait eu une quelconque “influence” sur le pape, au sens où vous l’entendez. C’était un homme extrêmement cultivé, le pape le plus raffiné de l’époque, certainement… » [Le père Schneider était allé plus loin dans son portrait de Pie XII : « C’était le pape le plus remarquable des temps modernes, avait-il dit, la plus forte tête politique. »]
Inévitablement devait venir sur le tapis le cas de Martin Bormann – et M gr Bayer, comme tous les autres, ne prêtait guère foi à l’idée qu’il ait survécu et disait ignorer s’il avait traversé Rome ou reçu une aide à Rome (Brockdorff-Jarschel fait un récit très précis – d’une précision troublante à vrai dire – de ce qu’aurait été l’évasion de Bormann à partir de Rome dans Flucht vor Nürnberg. La femme de l’auteur devait me dire au surplus que son mari avait effectivement rencontré Bormann dans une conférence du « fascisme international », tenue au Proche-Orient à la fin des années 1950 [124] « En fait, j’ai été mêlé de près à toute l’affaire Bormann, dit M gr Bayer, à cause des enfants. La femme et les enfants de Bormann habitaient dans le Tyrol du Sud où Frau Bormann, comme vous savez, est morte en 1945. Théo Schmitz, aumônier des prisonniers de guerre à Merano était constamment auprès d’elle ; il l’a aidée au moment de sa mort. Et durant tout ce temps nous nous efforcions de trouver une solution pour les enfants ; ils étaient très jeunes et il fallait trouver où les caser. Eh bien, pour moi il est tout à fait invraisemblable psychologiquement que, sachant sa famille à Merano et elle mourante, Bormann ait fait la navette à l’époque entre Gênes et Rome – comme le prétendent les récits – sans être jamais allé les voir. » J’ai répondu qu’à supposer qu’il ait survécu, la chose ne me paraissait pas si invraisemblable ;
Weitere Kostenlose Bücher