Au Fond Des Ténèbres
c’eût été très dangereux pour lui, après tout ; il devait se douter que les services de renseignements alliés surveillaient nuit et jour sa famille dans l’espoir précisément d’une démarche de ce genre. « Oui, ça c’est vrai, dit M gr Bayer, et il est vrai aussi bien sûr que leurs rapports étaient devenus très mauvais ; ils avaient de graves divergences idéologiques ; elle avait fini par apprendre à quoi il avait été mêlé. D’un autre côté, je suis profondément convaincu que s’il s’était trouvé en quelque endroit que ce soit, j’en aurais eu vent. Parce que vraiment j’étais aux aguets à son propos, à cause des gosses. Voyez-vous, indépendamment de tout le reste, il y avait toutes sortes de problèmes financiers, toutes sortes de choses à régler. Vous imaginez bien que si l’on avait pu l’atteindre, je n’aurais pas pu ne pas le joindre. Non, je ne sais pas si Hudal m’en aurait parlé – nous n’étions pas assez intimes. Mais je suis bien persuadé que j’aurais su… » Quand j’ai mentionné les bruits qui ont couru selon lesquels les enfants de Bormann auraient dit en 1948 que leur père était vivant, M gr Bayer a répondu qu’il n’avait jamais entendu parler de cela non plus. Il s’est exprimé avec mépris sur le fils aîné de Bormann qui, devenu prêtre, a abandonné le sacerdoce « et épousé une religieuse ».
J’ai demandé à M gr Bayer son avis sur l’allégation de Brockdorff selon laquelle les SS réfugiés à Bome devaient subir une sorte de filtrage avant d’être autorisés à partir à l’étranger.
« S’il y avait vraiment eu un filtrage, dit-il, une tentative au moins d’examiner chaque cas particulier, il aurait fallu au bas mot une douzaine de prêtres parlant l’allemand. Je les connaissais tous. Il y en avait quelques-uns, bien sûr, mais ils étaient incroyablement occupés – bien trop occupés je crois pour pouvoir se livrer au genre de surveillance sur tous les gens dont parle le livre en question. »
J’ai demandé quelles questions l’on posait à ceux qui requéraient une aide.
« Naturellement nous leur posions des questions, dit-il. Mais d’un autre côté, il n’existait pas pour nous la moindre chance de pouvoir vérifier les réponses. À Rome, en ce temps-là, on pouvait tout acheter en fait de papiers ou de renseignements. Celui qui voulait nous déclarer qu’il était né à Viareggio – et peu importait qu’il fût né à Berlin et qu’il ne parlât pas un mot d’italien – n’avait qu’à descendre dans la rue : il y trouvait des douzaines d’Italiens prêts à jurer sur une pile de Bibles qu’ils savaient qu’il était né à Viareggio – pour cent lires. »
Je dis que Stangl prétendait avoir séjourné dans un couvent ou un monastère, avoir mangé dans une cantine et avoir trouvé ensuite du travail chez des religieuses.
« Il y avait en effet une mensa particulière pour les étrangers, dit M gr Bayer. Chaque comité national en avait une ; celle de Rome servait des repas matin et soir à environ deux cents personnes. Et il peut bien aussi avoir travaillé pour des religieuses. Et il peut bien aussi, oui, avoir logé dans un couvent ou un monastère. Quant à cette histoire que Hudal attendait son arrivée ; bien entendu, parce qu’il s’adressait à vous, il a tenu à mettre l’accent sur un certain aspect ; il a tenu à établir que lorsque Hudal a dit : « Vous devez être Franz Stangl, je vous attendais », il signifiait par là qu’il avait entendu parler de lui depuis toujours, qu’il connaissait son passé et l’approuvait, et que, néanmoins – ou à cause justement de cela – il était prêt à l’aider. Mais l’accent peut être mis ailleurs. Il me paraît plus vraisemblable que le “camarade” rencontré par Stangl sur le pont du Tibre a téléphoné à Hudal pour lui dire : « Franz Stangl que je connais va venir vous voir ; je le connais, il est très bien », ou quelque chose dans ce sens. Et en fait, ça aidait Stangl – ça m’est arrivé tout le temps à moi aussi. Très souvent, en l’absence de toute pièce d’identité, ce genre de recommandation avait du poids ; nous l’acceptions tous faute de mieux [125] …
« Non, je ne crois pas que Hudal lui ait trouvé un emploi en Syrie, un visa ou quoi que ce soit. Tout cela, c’était à lui de le faire. [L’information que j’ai obtenue par la suite de la
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