Au Fond Des Ténèbres
humble curé [97] de village et au plus jeune novice dans son couvent n’a cessé de se conduire en accord avec les principes de morale et d’humanité les plus élevés. Il est contraire aussi à tout ce que j’ai pu apprendre dans l’immédiat après-guerre, de la bouche de nombreuses personnes déplacées, y compris des Juifs de toutes nationalités qui avaient eu la vie sauve grâce à des prêtres et des religieuses. Naturellement, et bien qu’on l’oublie ou qu’on en tienne insuffisamment compte, tout ce qui s’accomplit est accompli, pour finir, par des individus, hommes et femmes, disposant de pouvoirs individuels de décision. À quelque confession qu’appartienne un prêtre, un pasteur, un moine ou une religieuse, chacun ou chacune demeure une personne individuelle et – c’est là un point capital – un ressortissant de son pays d’origine. Certes, nombre de prêtres – en particulier polonais – sont morts dans les camps de concentration pour leur foi, leur martyre n’a rien eu à voir avec leur nationalité. De tels saints ont existé tout au long des âges. Mais, durant la période en question, un nombre beaucoup plus grand de religieux se sont opposés aux Allemands, en partie au moins par patriotisme. Une quantité de prêtres et de pasteurs héroïques français, belges, italiens, hollandais, norvégiens, danois, tchèques, polonais et autres qui ont caché des aviateurs alliés, rendu service aux organisations clandestines, transmis des messages par radio et aidé les Allemands antinazis à se cacher dans la population locale, l’ont fait bien plus par amour de leur pays que pour leur Église. Nombre d’entre eux l’ont reconnu volontiers. À travers l’Europe entière des enfants juifs ont trouvé refuge dans des couvents de religieuses. J’ai rencontré en France occupée plusieurs de ces nobles femmes et plus d’une fois, alors que j’admirais leur courage, il m’a été répondu : Mais je suis Française, à la fin. [98]
Les exceptions qui ne font que confirmer, d’une façon assez étonnante, la règle, sont celles de religieuses et de religieux allemands ou autrichiens qui, au cours de la guerre, ont agi à l’encontre des lois de leur pays. J’en ai rencontré quelques-uns aussi et tous ces êtres admirables, hommes ou femmes, m’ont parlé de leurs luttes intérieures et de la décision prise par eux en tant qu’individus qui se refusaient à admettre que ce gouvernement et ses lois puissent correspondre aux véritables intérêts de leur patrie. De telle sorte qu’eux aussi ont agi d’abord en tant que ressortissants outragés de leur pays – qui se trouvaient être par ailleurs des prêtres, des religieuses ou des pasteurs.
Bien entendu, dès lors qu’on admet comme juste et inévitable à l’intérieur de chaque confession, cette fidélité au pays en pareille circonstance, il s’ensuit que les prêtres allemands et autrichiens ont eu tout autant de droits à aider d’une façon générale des Allemands et des Autrichiens en détresse après la guerre. On en revient donc au nœud de la question, qui surgit au milieu de toutes les polémiques sur l’attitude de l’Église catholique durant cette période : jusqu’à quel point étaient-ils au courant ?
On nous a dit que l’Église ignorait en 1939 que les nazis avaient l’intention d’instituer l’euthanasie, et cela, bien qu’un théologien, professeur en activité dans une université catholique (dont il avait précédemment été recteur) ait travaillé durant six mois sur une consultation qui lui avait été commandée officieusement.
On nous a dit que le pape ne pouvait pas protester contre l’extermination des Juifs en Pologne occupée par les nazis, parce que – malgré les rumeurs qui avaient pu lui parvenir de ces horreurs – il ne le savait pas de source sûre. Et, bien qu’il soit admis qu’après la défaite allemande des nazis de haut rang fuyant à l’étranger aient passé par Rome, on nous a dit que leur identité n’était pas connue de ceux qui les ont aidés.
J’étais prête à attacher foi à toutes ces affirmations, mais pour chacune d’elles, la preuve du contraire se révèle accablante.
Pour ce qui est des évasions, même après avoir écarté tout ou partie des récits dramatiques et même si l’on est disposé à attribuer le plus gros de l’aide romaine à des motifs parfaitement légitimes et humanitaires [99] , on reste en présence
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