Au Fond Des Ténèbres
la personne produise des témoins, quelqu’un qui puisse se porter garant. Mais évidemment ils se soutenaient tous. Je pouvais téléphoner au pasteur qui faisait la même chose chez les protestants, le pasteur Dahlgrün pour lui demander s’il connaissait tel ou tel ; et s’il me répondait : “Oui c’est un garçon qui vient de Leipzig, j’en ai vu deux autres qui m’ont dit le connaître…” alors, voilà, c’était ça la confirmation.
« Stangl, d’après le récit qu’il vous a fait des mois qu’il a passés en Italie, doit avoir connu un tas de gens dans ce pays. Il a été à Fiume, à Vérone, à Venise, à l’île de Reb – il a bien pu s’attirer la haine de quelques personnes, mais il en a probablement aidé d’autres et s’est fait des amis – des gens qui “lui devaient quelque chose”. C’est pourquoi je pense que l’histoire qu’il vous a racontée est probablement vraie ; manifestement, il lui était facile de s’évader d’une prison ouverte de Linz – il n’y a rien d’étonnant à cela. Non, je pense pas qu’il ait eu besoin d’argent pour s’enfuir. En fait, s’il en avait eu, il n’aurait pas eu besoin de venir nous trouver. » [Pas tout à fait exact ; il aurait toujours eu besoin de papiers – la preuve en est que d’autres nazis de bien plus haut rang et probablement très bien pourvus d’argent ont eu recours, eux aussi, à la filière d’évasion du Vatican.]
« Et, bien sûr, il n’avait pas besoin de papiers pour passer la frontière austro-italienne. Quiconque prétend qu’on en avait besoin à cette époque ne sait même pas de quoi il parle. Au moment où il s’est évadé, tous ces gars avaient fini par se faire savoir les uns aux autres par quels hameaux du Brenner ou des alentours il valait mieux passer, quels étaient les paysans anciens nazis, ou simplement sympathisants, ou susceptibles d’aider moyennant finance. De toute façon, il y avait assez de guides – contrebandiers de toujours – pour faire passer à l’œil.
« En somme, son histoire ne sonne pas faux ; à Merano devant les carabiniers, il a très bien pu se tirer d’affaire avec des phrases, s’ils n’ont fait que l’interpeller dans la rue. Bien entendu, s’il avait été pour de bon conduit en prison, il aurait fini dans un camp, c’est arrivé à beaucoup d’autres. Pour ce qui est du passeport – bon, je vous ai dit ce que j’en pensais – mais je ne sais peut-être pas tout. Hudal disposait peut-être effectivement d’un lot de passeports pour cette catégorie de gens. Et certainement il aurait pu lui donner de l’argent. Oui, le pape donnait bien de l’argent pour ça, souvent par petits paquets, mais ça venait… »
5
« Nous n’avions aucun moyen de connaître la provenance de l’argent destiné à ces personnes », dit M me Gertrude Dupuis qui exerce d’importantes fonctions à la Croix-Rouge internationale à Rome depuis plus de trente-cinq ans. Svelte, vive, élégante, M me Dupuis s’est montrée – dans les limites que lui imposait sa situation – ouverte au propos de ce livre et a répondu avec franchise à mes questions.
« Mais il est certain, poursuit-elle, que nous n’avions aucun doute sur le fait que l’argent venait du Vatican qui, après tout, fournissait légitimement depuis des années une aide financière aux réfugiés. Ce que vous a dit M gr Bayer sur l’obligation de s’adresser en personne à la Croix-Rouge, de prendre et de signer des papiers dans ce bureau est parfaitement exact. Toutefois, au cas où M gr Hudal aurait demandé que soient établis sur ses indications et qu’on lui envoie quelques laissez-passer [126] (je ne sais, quant à moi, s’il l’a fait, mais il pouvait ou a pu le faire) sur lesquels manquait seulement la signature du détenteur… eh bien, il est vraisemblable que ça a été fait. C’était relativement simple pour lui de l’obtenir. N’oubliez pas qu’il était évêque – ça aidait. Ça faisait son effet. Il est vraiment très improbable que Stangl ou des gens de son espèce aient couru le risque… ou, peut-être, que Hudal ait couru le risque à leur sujet, ou les ait autorisés à courir le risque – je vous laisse le soin de choisir – d’aller faire la queue parmi des centaines de personnes. Il y avait tout autour de nous des douzaines de Juifs survivants des camps. N’importe lequel d’entre eux pouvait être en mesure de
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