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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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avait comparativement peu de Juifs. Nous n’avons jamais su qu’à l’Est on exterminait réellement les Juifs, vraiment pas. Je me rappelle être allé voir Kesselring après la guerre, quand je préparais mon livre. Je lui ai demandé de me dire, en toute honnêteté, dans l’intérêt de l’histoire, s’il avait su quelque chose de ces camps d’horreur. “Je vous jure, a-t-il dit, que j’ignorais tout de leur existence.” Oui, bien sûr, vous me direz : toute l’armée de l’Est – soldats, officiers, haut commandement – était forcée de savoir ; c’était inévitable, comment auraient-ils pu faire autrement ? Non, moi-même je ne comprends pas comment il se fait que ça ne se soit pas répandu partout. C’est parfaitement exact ; ils venaient en permission ; ils ont dû bavarder. Mais il n’en demeure pas moins que nous, nous ne savions pas.
    « J’ai toujours pensé – avec bien d’autres – que le pape, de même que n’importe qui, n’avait pas d’informations précises et dignes de foi sur la nature exacte et l’ampleur des atrocités commises contre les Juifs.
    « Évidemment si les documents démontrent aujourd’hui – comme vous l’affirmez – qu’il était au courant, sinon dès le début, du moins à la fin de 1942, à ce moment-là, naturellement, ça change tout ; alors il faut bien se demander qu’est-ce qui a pu le retenir de parler… »

8
    Le pape Pie XII était-il au courant de la réalité de la situation en Pologne, et, plus particulièrement, de l’extermination des Juifs ? Nous avons déjà évidemment abordé la question dans bien des pages de ce livre. Mais l’homme le mieux à même de nous éclairer entièrement sur ce point d’importance sans égale est M. Kazimierz Papée, qui fut ambassadeur de Pologne auprès du Saint-Siège du 14 juillet 1939 au mois de décembre 1958.
    Bien que la Pologne n’ait plus de représentant officiel au Vatican, le nom de M. Papée figurait toujours dans l’Annuaire pontifical en tant que « Conseiller diplomatique » quand je lui ai rendu visite en mars 1972. Une petite plaque de cuivre sur la porte de son appartement au troisième étage du 7 Via St Pancrazio à Rome portait : Ambassade de Pologne auprès du Saint-Siège [131] .
    Au moment de notre rencontre, Kazimierz Papée était âgé de quatre-vingt-deux ans et en pleine possession de sa remarquable intelligence ; un grand seigneur du passé, petit, svelte, d’une élégance impeccable, doué d’un sens exquis de la langue. Nos entretiens eurent lieu en français (Carlo Falconi dans le Silence du pape Pie XII le décrit comme « un diplomate polonais de premier plan, ayant une brillante carrière derrière lui, avec en particulier les postes de La Haye, Berlin, Copenhague, et Prague pour finir… Les rapports suivis entre le Saint-Siège et le gouvernement polonais [en exil] reposaient sur l’ambassadeur à Rome, Kazimierz Papée, c’est sans doute grâce à la présence à Rome d’un homme aussi apprécié que le Vatican trouva inutile [pendant la durée de la guerre] de désigner un représentant à Londres [auprès du gouvernement polonais en exil] ».
    Une femme de chambre âgée, fine et silencieuse avec un visage de statue de bois polonaise, et vêtue d’une longue robe blanc d’ivoire à capuchon, un peu à la façon d’une nonne laïque, m’ouvrit la porte. Le vaste salon aux meubles et au plancher luisants, avec ses gravures ravissantes, des photos dédicacées d’hommes d’État et de prélats aux noms célèbres, une foule d’objets d’art [132] sur des légers guéridons, était à la ressemblance de l’homme.
    La mémoire de M. Papée a conservé par le menu le détail de ses activités durant les années de guerre et d’après-guerre. Je me suis rendu compte que son actuelle et très particulière position était délicate ; il appartenait, sans y appartenir, à la communauté du Vatican. Il est peu vraisemblable – et l’idée ne me serait pas venue de le questionner là-dessus – qu’il ait conservé aucune fortune personnelle après les événements révolutionnaires de Pologne. De tout ce qu’il disait – et de ce qu’il ne disait pas – et de ce que j’ai appris depuis, il s’ensuivait que sa position à Rome (pour ne rien dire de son intégrité personnelle) requérait beaucoup de discrétion.
    Nous avons parlé de beaucoup de choses : de la vie d’autrefois, des grands hommes qu’il

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