Au Fond Des Ténèbres
avait connus, des valeurs fondamentales dont il a le culte et dont moi-même – qui suis bien plus jeune que lui – je regrettais avec lui la disparition.
La façon dont M. Papée parlait de sa Pologne bien-aimée, des années de guerre, de ses activités au service de tous les Polonais – chrétiens ou juifs – et du pape Pie XII était empreinte non de colère ou de résignation, mais de souffrance ; souffrance d’un homme qui a servi tout au long de sa longue vie, et dont les efforts, pour finir, se sont révélés vains.
Il a récapitulé en détail les démarches qu’il fit durant les années tragiques 1940-1944 pour informer le Saint-Siège, de la situation en Pologne ; ses audiences fréquentes avec le pape, et ses perpétuelles communications par lettre ou de vive voix, aux trois cardinaux du secrétariat d’État du Vatican (le cardinal Maglioni, secrétaire d’État, le cardinal Montini – actuel pape Paul VI – secrétaire d’État adjoint, et le cardinal Tardini).
Un peu plus tard, comme j’allais prendre congé, M. Papée m’a tendu un livre, après l’avoir signé, et m’a dit : « En le lisant attentivement, vous y trouverez peut-être une réponse plus précise à vos questions… »
Ce livre, Pie XII et la Pologne 1939-1949 (Pius XII a Polski 1939-1949) est un recueil de lettres, de commentaires, d’aide-mémoire [133] et de rapports du gouvernement polonais en exil, d’ecclésiastiques polonais en territoires occupés et de M. Papée lui-même au Saint-Siège. Il a été publié à Rome par Editrice Studiem, avec l’aide financière de la fondation Ford.
Quoique tous ces textes présentent, il va de soi, un grand intérêt, la « lecture attentive » que K. Papée me conseillait avec tant de bonté devait me révéler que le plus important pour l’intelligence de cette période ne réside peut-être pas dans les documents publiés dans ce volume mais bien – ainsi que le souligne la préface de M. Papée – dans ceux qui « demeurent dans les archives jusqu’à publication ultérieure ».
Grâce à l’aide de Polonais (en exil) d’appartenances politiques diverses, j’ai été autorisée à jeter un coup d’œil sur certains de ces documents conservés dans des archives polonaises à l’étranger.
Il est capital de noter que ces documents particuliers qui revêtent une importance considérable quand il s’agit d’apprécier l’étendue des informations du Vatican sur la situation en Pologne et notamment sur l’extermination des Juifs (document que M. Papée, pour des raisons évidentes, n’a pas cru pouvoir reproduire dans son livre) ne figurent pas non plus dans des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale [134] . Cette omission, si l’on considère les intentions qui ont présidé à la publication et à la nature des textes – documents diplomatiques officiels, tous d’un intérêt considérable – jette le doute le plus sérieux sur l’intégrité des éditions du Vatican.
Des raisons de place interdisaient de reproduire la totalité de trois des documents qui m’ont été montrés ; mais la preuve la plus incontestable de l’information pleine et entière du Vatican sur les méthodes et l’ampleur de l’extermination des Juifs en Pologne tout au moins à partir de décembre 1942 est fournie par l’un d’eux, à savoir une lettre de l’ambassadeur de Pologne remise personnellement au cardinal Tardini le 21 décembre 1942 :
« L’ambassadeur de Pologne a l’honneur de porter à la connaissance du secrétariat d’État de Sa Sainteté les informations suivantes émanant de sources officielles :
« Les Allemands sont en train de liquider la totalité de la population juive de Pologne. Les premiers emmenés sont les vieillards, les infirmes, les femmes et les enfants ; cela prouve qu’il ne s’agit pas d’une déportation pour travail forcé et confirme les informations selon lesquelles ces populations déportées sont transférées dans des installations spécialement aménagées [135] afin d’être mises à mort par des procédés divers. La mort des hommes jeunes et valides est obtenue par le travail forcé et la famine.
« Quant au nombre de Juifs polonais exterminés par les Allemands, il est estimé à plus d’un million. À Varsovie seulement, il y avait à la mi-juillet dans les ghettos 400 000 Juifs environ ; dans le courant de juillet et d’août, 250 000
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